« Il pensiero debole » : cette expression du philosophe italien Gianni Vattimo qui aura (presque…) fait florès -ni pensée molle ni, comme trop souvent traduite, pensée faible-, on souhaiterait l’entendre en ouverture d’écoute, première clé de la conversation enregistrée-composée par Riccardo Del Fra et Michel Graillier.
« Pensée souple » ou, mieux, « pensée ductile » : ce serait la véritable traduction. Ni faiblesse ni mollesse, là ; et de la pensée, constamment. Dans l’esprit de Vattimo, pour qui il s’agissait de « décatégoriser » le geste philosophique, de le tenir, dans la fin même de son efficience, à l’écart de la logique systématique ; dans Soft talk, et sans solution de continuité : tous deux, Riccardo Del Fra, Michel Graillier, tous deux ensemble nous disant combien le dialogue vrai est loin de la déclaration, à l’écart des logiques avérées, combien il se joue dans l’acte et, dans l’acte, est une pensée. Combien il importe de s’attacher -ou revenir à- des questions presque tenues, dans l’aujourd’hui consumériste, pour molles, ou débiles… Par exemple celle, vieille et sans doute considérée comme telle (obsolète ou ringarde selon les degrés lexicaux du Moderne), du choix des notes.
Peut-être est-ce précisément là pour eux, Michel Graillier, Riccardo Del Fra, la question essentielle. Rien ici ne se livre dans le plein. Rien ici qui prendrait le parti de la multiplication, du surajout, de cet emportement fasciné du discours conduisant, sans coup férir, à l’étouffement de la note par elle-même. Ils ne jouent, cela dit, ni l’un ni l’autre sur le peu, mais dans la pondération. Leur duo montre qu’ils appartiennent -conversation ductile- à cet ordre délicat de la voix sachant que le lyrisme, vrai, est affaire de calcul.
« La part du calcul dans la grâce » : c’est ça ; c’est de ça qu’ils nous instruisent. Moments posés. Assises du corps. Entendons-les dans leur singularité douce, concertante, l’un après l’autre offrant ce qu’il faut à la voix si proche -la voix presque double- pour sa pleine efflorescence. Jeux précis d’une entente. Ruses du corps pour gagner le corps de la musique. « I’m a fool to want you », lui disent-ils, l’un, l’autre, à la fin de l’échange : « Je suis stupide de te désirer. » (Débile ?) Mais non : moins inaccessible qu’il ne pourrait y paraître -il suffit, littéralement, d’y mettre les formes-, la musique s’ouvre au cœur de l’amour, prête, toute, à la douce dispute amoureuse.
Parole aimante, ici, de la musique vers deux êtres également accordés à ses pouvoirs – confins de délicatesse donnant pure couleur de réflexion.
Michel Graillier (p), Riccardo Del Fra (b)
Pernes-les-Fontaines, juillet 2000