Composer pour le ballet au XXème siècle exige une bonne dose d’humilité. Sans faire référence à Stravinski, véritable auteur pour la danse, et indéniable statue du commandeur. De Maurice Jarre pour Roland Petit (Notre-Dame de Paris) à Tom Wilhem pour Forsythe, et ici, René Aubry pour Carlson (Blue Lady entre autres), la collaboration vire au fusionnel. Une idée, un mouvement, et la musique s’élabore peu à peu.
Le compositeur de ballet abdique une part de sa liberté. Avec Signes, René Aubry, musicien autodidacte coutumier du travail de Carolyn Carlson, a intégré une difficulté supplémentaire, écrire pour la peinture et le mouvement. Chaque pièce musicale illustre un tableau d’Olivier Debré mis en danse par Carlson pour le ballet de l’Opéra de Paris. À chaque toile, une ambiance musicale particulière, étape d’un voyage initiatique au terme duquel on assiste à la victoire finale des signes.
Paradoxalement, le disque bouscule le découpage choisi pour le ballet, invente de nouveaux titres et donne une seconde vie à l’œuvre. Les fastidieuses transitions indispensables aux changements de décors et d’ambiance disparaissent également. Signes conquiert-il pour autant son existence propre. Rien n’est moins sûr.
La musique légère, parfois drôle, parfois tribale, survit difficilement privée de ses supports picturaux et charnels. Comme la musique d’un film que l’on aime, cette B.O. de ballet nous replonge dans la magie d’un spectacle fortement imprimé dans notre mémoire rétinienne. Dans Signes, la potion magique opère par la conjonction de trois œuvres, musicale, chorégraphique et picturale. Mais si tout cela vous indiffère, vous écouterez une musique distrayante qui vous semblera peut-être insignifiante. Aubry n’est ni Stravinsky, ni même Philip Glass. Cependant, cette publication marque, espérons-le, une ouverture des maisons de disques. Le triomphe de Signes à Bastille n’est sûrement pas étranger à la sortie de cet opus qui séduira en priorité quelques milliers de spectateurs nostalgiques d’une magie irréelle et hors du temps.
L’édition musicale d’œuvres contemporaines, particulièrement frileuse, publie trop rarement des compositions pour le ballet. Signes est l’une des trop rares occasions d’offrir un public discographique à des musiciens que des salles entières plébiscitent.
Karine Duquesnoy