Après un premier album, Felk, remarquable et remarqué, où Olivier Lambin posait sa voix fracassée sur un mélange de blues à la Blind Willie Johnson et d’electronica à la Oval, voici venir le deuxième album de Red, album-concept intitulé Songs from a room. Ce titre évoquera peut-être quelque chose aux amoureux de la pop-music : de même que Felk proposait déjà deux reprises de Hank Williams et des Talking Heads sur son premier opus, ce nouvel album est la reprise dans son intégralité de l’album de 1969 de Leonard Cohen, Songs from a room. Et comme sur Felk, cet art de la reprise s’apparente ici plus à une re-création totale, l’appropriation objective et subjective d’un classique de notre culture occidentale, pour lui donner à la fois une nouvelle identité et une nouvelle portée. De mémoire de critique, on n’avait jamais repris ainsi intégralement un album original (à l’instar d’une proposition cinématographique comme le Psycho de Gus Van Sant), et le résultat très réussi artistiquement, sera sans doute considéré théoriquement comme un jalon dans l’histoire de la musique (du post-modernisme dans la musique ?), faire de la relecture une véritable création. On passera sur le côté « clin d’œil » que constitue la pochette (reproduisant à l’identique celle de l’original, excepté la tête de l’artiste qui a changé) et le choix du titre, Songs from a room, renvoyant ironiquement au home-recording, dont Red est un adepte convaincu, et on se plongera avec une curiosité mêlée d’appréhension dans cette relecture du merveilleux album de Leonard Cohen, ici repris titre à titre.
La gravité minimale de l’original est restituée et décuplée par la voix rocailleuse d’Olivier Lambin, évoquant autant un Leonard Cohen qui aurait perdu sa contenance qu’un Tom Waits assoupi. La quintessence et le côté primitif des chansons de Cohen sont mis en relief par un traitement plus blues que folk, comme si la folk suave de Cohen retrouvait là son origine primale et terrienne, le long de chansons concassées et mathusalémiennes sur lesquelles grésillent des oscillations de fréquences perturbatrices et modernistes (The Old revolution), qui viennent rehausser, par contraste, les mélodies et les textes magnifiques. Bird of the wire, Story of Isaac, You know who I am ou The Partisan vivent ici une seconde vie, sont à la fois réactualisées par la touche électronique et réduites à leur plus simple expression par le primitivisme du jeu et du chant de Red. Entre un passé de légende et un avenir à inventer, nul doute que comme objet marginal, projet subversif et concept qui interroge notre rapport tout entier à la culture d’hier et d’aujourd’hui, Songs from a room, de Red, fera date.