Le business rock laisse peu de chance à l’imprévu et aux surprises en règle générale. Fans de pop claire, d’electro, de hardcore, de blues, tous fichés ! Les maisons de disques se chargent de repérer l’album identique à votre achat précédent. Pas d’inquiétude, vos goûts deviendront une tendance. Et pourquoi pas si ça marche ? Les fans de Radiohead songeraient-ils à se plaindre de l’album de Muse ? Pourtant, quand le téléphone reste muet, que les soirées s’étirent et que l’on fait le tour de sa discothèque, on s’arrête le plus souvent sur des disques ovni, inclassables, sans famille, un peu perdus au milieu des étagères. Un Cramps produit par Chilton, par exemple, une bestiole hybride qu’on n’attendait pas et qui s’installe plusieurs semaines sur la platine.
Ramsay Midwood est en passe de réussir ce coup, avec ce premier disque intitulé Shoot out at the OK chinese restaurant. Bon titre, déjà… Même en glanant quelques informations dans diverses revues, le bonhomme reste quasiment inconnu. Né à Woodstock, son père était écrivain, il a sauté sur les genoux de Mississippi John Hurt, il a décroché un contrat avec le label allemand Glitterhouse grâce à Internet… Pour une fois le disque dira tout le reste, l’essentiel.
La pochette se veut déjà vieillie et porte la mention « electronically altered for stereo ». Sur le CD, au design imitant un vinyle, les titres sont répartis en deux faces. Des indices qui sentent bon. L’album débute avec une ballade a cappella chantée à travers un combiné de téléphone, comme si Ramsay Midwood avait décidé de nous faire entrer par la petite porte de derrière peu reluisante. La suite est autrement plus envoûtante. Midwood pratique une sorte de blues folk unique. Les chansons ne passent pas vraiment par des refrains ou des couplets, elles s’étirent tranquillement. Mais il ne s’agit pas non plus d’un disque laid-back-sous-le-porche façon JJ Cale. Il y règne au contraire une étrange ambiance mélancolique, calme mais plombée. La production y est pour beaucoup : un son ample, laissant de larges espaces entre les instruments ; un son où la résonance de la pièce (un living-room) compte plus que les boutons de la console. Pour preuve, il suffit de tester Spinnin on this rock et sa fantastique rythmique tambourin-maracas envoûtante comme un early Doctor John. Ou encore de glisser jusqu’au superbe Esther où Midwood retrouve le son de piano-bastringue du Dylan de Ballad of a thin man.
Pour couronner le tout, Ramsay Midwood chante parfaitement. Pas un grand beuglard à la voix d’opérette, mais un chanteur de blues unique, marmonnant sans cesse comme un pilier de bar rancunier ou comme un Lou Reed sudiste (si cette variété de mutant peut voir le jour sans danger pour l’humanité). Pour comprendre ce disque, il faut vraiment entendre Midwood grogner sur l’intro de Waynesboro ou lâcher, plus loin : « Yes, Mr Zimmerman, time always changes, nothing here seems right, I had the one who loved me but she never loved me right. » Son déchirant « Won’t you forgive me darling » sur le titre Mohawk river peut aussi facilement rester en tête pendant deux ou trois semaines. Vocalement, Ramsay Midwood reprend le flambeau là où Jim Morrisson l’avait laissé choir. Pas le minet acide de Light my fire mais le bluesman inquiétant de L.A. woman. Un successeur que l’on n’attendait plus.