De par son titre, Made in Medina laissait présager une nouvelle relecture des classiques de la musique maghrébine, à l’instar de Diwân, l’album qui fit connaître Rachid Taha au grand public, avec sa version moderniste du Ya Rahah de Dahmane El Harrachi. Par-delà les ruelles ombragées de la medina, le nouvel album de Taha explore les multiples déclinaisons musicales de la transe. Gnawas d’Afrique du Nord, vaudou haïtien ou griots du Bénin, la transe est un langage universel dont le plus récent avatar est la techno, surgie des forges industrielles de Detroit. Du rythme libérateur des guérisseurs à celui, aliénant, des chaînes de production tayloristes, la musique de Rachid Taha conjugue les temps et les cultures de la transe avec une éclatante élégance, loin des clichés world consensuels (Garab).
Le succès du collectif 1,2,3 Soleil n’a pas entamé la révolte de Rachid Taha. Son regard acerbe scrute toujours nos sociétés avec une implacable lucidité. Le chaos ambiant lui inspire un rock incantatoire (Barra, Barra), dénonçant les tensions sociales, la déshumanisation et l’obscurantisme : « Dehors règne la tristesse et l’insécurité, les oiseaux ont cessé de chanter. » Les mégapoles anonymes ont remplacé la medina, lieu de rencontres et d’échanges. Les équilibres traditionnels sont rompus, les individus broyés dans l’étau des villes-labyrinthes modernes (Medina). Le destin de l’humanité est à nouveau en jeu. Taha, l’écorché vif, ne souhaite pas un retour à l’ordre, il désire simplement trouver le salut dans la paix intérieure, seul moyen d’échapper au bruit et à la fureur de l’existence (Ala Jalkoum, en duo avec Femi Kuti). La sagesse est vécue comme une quête initiatique et joyeuse (Hey Anta, Qualantiqua).
Made in Medina est l’œuvre d’un métissage musical éclairé : une savante alchimie orchestrée par Steve Hillage (Gong, System7) dans laquelle on retrouve les percussions égyptiennes de Hossam Ramsy, les chœurs incandescents des B’net Marrakesh et le New Orleans funk du groupe Galactic. Aïe, Aïe, Aïe est un hommage inattendu à Kashmir, titre épique de Led Zeppelin. Sur un mode asri, des arabesques symphoniques et une batterie tellurique piétinent sans répit des cieux menaçants. Avec la même force, Rachid Taha demeure un artiste obstinément libre. Un classique du futur.