Du post-rock ingénu à l’electronica déviante, en passant par le hip-hop craquelé, Scott Herren montre plusieurs faciès (Delarosa & Arosa, Savath & Savalas, Piano Overlord, Ahmad Szabo…) depuis la fin des 90’s. Alambiqué et affriolant, parfois répétitif, son univers taché harnache continuellement des facettes aigres-douces, comme lorsqu’il morcelle les punchlines des Mcs pour son projet le plus connu et le plus controversé : Prefuse 73. Originaire d’Atlanta, ce cerveau évasif s’est installé à Barcelone pour butiner le Vieux Continent, tentant de régurgiter fréquemment des frasques de cut-ups saccadés. Ce qui lui a permis de toucher un son et de se faire un nom, principalement lorsqu’il a sorti son fameux Vocal studies + Uprock narratives sur Warp en 2001. Un opus assaisonné à la sauce « rapologiquement incorrecte » qui a fait l’effet d’une cassure chez Warp. L’homme y déployait alors un joli rouleau compresseur, fracturant avec passion les voix et les rythmes (les fusées Nuno et Point to B).
Si certains lui reprochent de reformuler les mêmes pas à chaque sortie, les mêmes mots et les mêmes schémas, c’est peut-être parce qu’il sait manipuler quelques boulons trop serrés, morcelant des scénarii dont la lourdeur a du mal à se maquiller de culture psychédélique. Sur sa dernière oeuvre, Prefuse répand un peu plus de pop dans ses machines. On connaît l’amour que porte Herren pour le rap. Paradoxalement, ses morceaux invitant des rappeurs sont ici un brin frustrant. Surtout lorsque les têtes d’affiche pointent leurs naseaux (El-P & Ghostface Killah sur Hide ya face, Aesop Rock sur Sabbatical with options, Just the throught feat. GZA & Masta Killah…). De l’autre côté du miroir de Surrounded by silence, des estampes fracturées sont pilotées vers des horizons pondérés et élancés (We got our own way en compagnie de Kazu de Blonde Redhead, And I m gone feat. Broadcast, Pastel assassins feat. Caudia & Alejandra Deheza…). En analysant bien sa discographie, Herren n’a jamais composé de miracle lorsqu’il a laissé ses amis rappeurs intervenir sur ses productions (avec MF Doom et Aesop sur Vocal studies… par exemples). Les mélopées cassées de Prefuse rayonnent principalement lorsqu’il arrache des brindilles de cordes orales, lorsqu’il s’excite sur la post-prod de ses morceaux. Sur son nouvel album, ce sont les cordelettes vocales des demoiselles qu’il arrive à bien butiner, chuchotant quelques doux mots à ceux qui auront la patience de les écouter avec attention (It’s crowded feat. Claudia Deheza). La première écoute laissera probablement sceptiques les puristes et autres fans de longue date, mais les multiples vignettes de pop brisées qu’il cache habilement (Minutes away without you) réussissent tout de même à engendrer de beaux petits segments (le refrain hypnotique de l’histoire d’amour Now you’re leaving), spécialement lorsqu’il fait parler son côté féminin (Rain edit interlude). On assiste donc au final à l’éclosion d’un album bancal, qui semble caracoler derrière les sons de ses prédécesseurs. Un peu plus de boue et de folie n’aurait sûrement pas fait de mal à son image, dont les miroirs bien lavés se reproduisent trop souvent en mode repeat… Cet opus en demi-teinte est peut-être plus laborieux à éplucher qu’il n’y paraît. On est devenu sûrement trop exigeant avec Monsieur Herren.