La beauté est une notion abstraite, une satisfaction désintéressée. Elle n’est pas obligatoirement cette idée harmonieuse et attirante évoquée par Edmund Burke, qui l’oppose au sublime, disproportionné et terrible. Portée par la voix d’Annie Lewandowski, la musique de Powerdove est une chose superbe, qui n’a que faire des canons esthétiques classiques et ne saurait se résumer à la rencontre triviale de la fragilité et de la vigueur. L’an passé, Do You Burn ? (Africantape), premier effort du groupe, avait marqué les esprits (pour ne pas dire emballé). Powerdove ne se renie pas, mais propose un nouvel opus plus riche, plus abouti encore, dans lequel chaque musicien semble avoir trouvé sa place. Disque bref mais fascinant, enregistré en un jour, Arrest est la beauté brute, une recherche artistique sincère, jusqu’à son classieux artwork, signé Mark Beyer.
Le chant, aux antipodes de tous les attentats sonores que l’on peut subir quand on n’est pas le maître de la télécommande ou de l’autoradio, attire évidemment l’attention. Sans effet, clair, il évolue dans la même division que celui de Rosie Cuckston (Pram) ou de Mimi Parker (Low) et aurait été à lui-seul la garantie d’un excellent disque de folk. Au-delà de son élégance et de sa grâce, le chant si doux et sans artifices, proche du souffle, se révèle être d’une intensité impressionnante : sa pureté devient une sensation. Mais Annie Lewandowski, à l’origine du projet, sait s’entourer. A sa gauche, John Dieterich (Deerhoof bien sûr, mais aussi l’inoubliable et fondamental Colossamite, Gorge Trio) et son approche fascinante et non-masturbatoire de la guitare et du dobro. A sa droite, le français Thomas Bonvalet (Cheval de Frise, L’Ocelle Mare), l’homme à tout (bien) faire, le magicien aux mille et un bruits. La liste des instruments ou objets utilisés par celui-ci sur Arrest, surprenante (emploi d’un appeau à geai, entre autres) et longue comme le bras, semble un défi à l’oreille de l’auditeur, qui peut difficilement identifier chacun.
Le trio n’a aucunement la volonté de rendre sa musique accessible, aussi Arrest n’est pas un ensemble linéaire. Le disque commence avec un volcanique et bruyamment noise « When You’re Near », avant de dévoiler des chansons plus délicates (« Into The Sea » , « Birdsong » , « Easter Sorry ») ou plus subtiles (« Ordinary » et la reprise d’Arthur Russell « You Can Make Me Feel Bad »). Les compositions sont simples, presque frêles, et résonnent pourtant avec force. Les heureuses contradictions du disque naissent tant de l’activité presque épileptique de Bonvalet, ou de ses silences choisis, que des motifs et du jeu de Dieterich. Sons, bruits, souffles s’invitent, se croisent et laissent pantois. Les comptines musicales d’Annie Lewandowski, bijoux dans un écrin biscornu, laissent l’esprit vagabonder, dessinant des paysages réconfortants où les éléments s’expriment sans effrayer l’enfant qui s’efforce de ne pas disparaître en nous.
Fruit des amours coupables de la folk et de la musique improvisée, dont elle a su s’affranchir des codes parfois irritants, la musique de Powerdove possède une identité sonore particulière : avant-gardiste mais authentique et sincère, intime, elle intrigue et envoûte. Arrest est un disque attachant, forcené. C’est un spectacle de magie dont on ne veut surtout pas comprendre les tours.