En techno, depuis deux ans, l’heure est bien sûr à la noirceur. Sous l’impulsion principale de la bande de petits vétérans qui forment le collectif Sandwell District (Karl « Regis » O’Connor et David « Function » Sumner) et du purisme de bon aloi des Djs du Berghain, c’est toute une école neo-industrielle qui semble redécouvrir les assauts grisants et minimalistes des catalogues Downwards et Counterbalance, en même temps que le Waveform transmission vol.1 de Jeff Mills qui les a fait naître. On aurait toutefois du mal à taxer Luke Slater d’opportunisme : le vétéran britannique traîne depuis trop longtemps dans les souterrains et a tenté trop de choses (dont l’inévitable essai crossover pour Novamute à la fin des 90s) pour qu’on décèle la moindre trace de fumisterie dans son retour tardif à la techno pure et dure (?) mais sincèrement œcuménique qui avait lancé sa carrière sous les noms de Clementine, Morganistic ou Planetary Assault Systems. Son retour aux affaires en 2009 avec l’impitoyable mais très funky Temporary suspension avait déjà tout du retour en grâce d’un fils prodigue : délivrée de pas mal des gimmicks mais soutenue par une science de la production et de l’invention toute contemporaine, la techno rigoriste voyait sa part abstraite et dissonante prendre des hauteurs étonnantes, majestueuses mais jamais grandiloquentes. Ce qu’amène Luke Slater au catalogue Ostgut Ton et à la techno en général, c’est bien plus qu’une maestria de vieux briscard : un vrai bol d’air frais, qui souffle sur un territoire maintes fois circonscrit par ses descendances.
Manifestement enregistré dans la foulée, The Messenger continue l’exploration mais dans une veine moins ouvertement combative et plus taciturne. De manière vraiment réjouissante, la part onirique qui écumait à la surface des machineries de Temporary suspension forme ici une toile de fond ambient de toute beauté, si ample par moments qu’elle semble attraper la violence des rythmes dans ses surfaces. De manière presque manifeste, l’album de techno sans fioriture attendu ne commence ainsi qu’à la troisième plage (Human like us) et dans un mode sourd et stochastique qui rappelle les ébats avant-gardistes de Sutekh époque Periods. Make. Sense. La double ouverture de l’album, elle, tient plutôt de l’electronica ambigüe et minérale qui fit les belles heures de 7th Plain et les beaux moments de Freek funk, son premier album pour Novamute. Imprenable, impitoyable, le disque se déroule ensuite dans un espace à la fois remuant et pétrifié, massé entre beats austères et séquences tubulaires au premier plan et nébuleuses de poussière au deuxième. Même les moments les plus sauvages et les plus soulignés en terme de dynamiques dancefloor (le plateau « jackin techno » de Wriss ou l’ascension hard techno de Rip the cut) semblent dépassés par les ambiances qu’ils exhalent. Seul hic paradoxal, The Messenger explicite ainsi tellement ses atmosphères qu’on se demande bien quel surplus narratif ou musical un Dj pourrait bien insuffler à ses morceaux, et quel espace onirique le danseur pourrait bien s’y inventer. C’est la limite des beaux disques techno qui veulent trop en dire, et la grande force des beaux disques de musique électronique qui se fichent de la manière dont ils vont être gobés. A la maison au moins, The Messenger est une claque magistrale.