Greedy baby est un objet étrange. Véritable collaboration de longue haleine entre un duo d’électroniciens parmi les plus monomaniaques de la sphère Warp originelle, et un vidéaste atypique allergique aux CG (les computer graphics, ces images générées par ordinateur qui habillaient systématiquement les raouts IDM et techno jusqu’il n’y a pas si longtemps…), l’œuvre est éditée par un label de musique, mais n’en est pas vraiment une. Chacun des neuf morceaux a vu le jour en regardant droit dans les yeux les images qu’il allait habiller et qui allait l’habiller, et l’osmose, bossée dans un petit local, à huis clos, à six mains, n’est pour une fois, pas qu’un joli argument de vente. Warp, mal à l’aise avec cet objet en avance de trois ou quatre années, peut-être, aurait même tout fait pour repousser la fatidique mise en orbite. Il faut donc, pour apprécier vraiment la proposition, un chouette système 5.1 (les morceaux ont été composés pour se déployer dans l’espace), un joli écran, et, peut-être un peu de temps à perdre. Tout le reste, matage en stereo ou, pire encore, écoute du CD bonus, extorqué par la maison-mère en panique, n’est qu’expérience diminuée, vous êtes prévenus.
Il n’y a qu’a regarder l’introduction beta bêta War dialer, montage explosé de bip et voix enregistrées au téléphone illustré par quelques ressorts automates, pour comprendre qu’il n’y a une qu’une chose à faire pour établir la communication, c’est étalonner son système surround. Ensuite, le menu du DVD n’explique pas vraiment comment s’installer pour apprécier les différents films, aux enjeux divers, plus ou moins statiques, plus ou moins scotchants. L’attention se fixe à intervalles irréguliers, se laisse happer, écoute les notes, divague. C’est un peu compliqué. Exemples. I citizen the loathsome, pure ritournelle Plaid-esque, relativement orinique, sinfonietta et chœurs couillus qui montent vers la saturation, se déploie en autant de travelling quicktime VR d’une Angleterre nocturne et un peu glauque, qui tournent, et qui tournent, et qui tournent, jusqu’à devenir pur jeu de lumière. Le grain est très beau, très bossé, c’est une belle échappée, un bel objet de mouvements, une jonglerie adroite. The Launching of big face habille une mélodie tristoune, boucle qui avance sur une basse poppy, avec un gracile montage de gribouillis sur papier, traînées de fusain insectiformes qui ne cessent jamais de regarder dans le vide, comme un mobile. Après, il y a les paysages organiques, l’oeil comme collé contre la focale d’un microscope et qui se bat pour s’habituer à la loupe et aux déformations de la lumière, dans un hotel à Shibuya, en hifi DV ou lofi Super8 (le très ennuyeux ZN zero, Plaid en roue libre, Jaroc en vacances à Tokyo qui filme ses errances de touriste), ou au plus près des quarks (le magnifique bloc E.M.R, meilleure morceau, meilleure vidéo, un ralenti, la nuit, dans une forêt, une lumière qui éblouit, et la lumière qui danse, qui danse, qui danse). Et puis il y a Super Barrio, dessin animé narratif, qui conte la lutte du gentil catcheur del pueblo dans un Mexique de pacotille contre les six monstres de l’establishment capitaliste (le fiston américain, le Médiatron et tous ses écrans, le banquier à trois têtes, le CRS, le junkie, le pouvoir, et autant de rictus affreux). Assez con-con, mais très joli dans son esthétique alternative comics, seule la musique, déjà-vu de Plaid latino, ralentit un peu la chose. Et puis il y a quelques bonus, aperçus en concert depuis un moment, extraits du magnifique Double-figure, plus clips facile pour pop songs entêtantes (New family et ses messages prophétiques à la noix, façon Palahniuk) ou bonus indigents (Crumax rins, montage de déchets de CNN pendant l’attaque en Irak, blah, un mix inédit de assault on Precint Zero, avec des images de tournée), mais ce ne sont que des bonus.
L’exercice était périlleux, et si l’attention ne sait pas toujours où se fixer (l’écoute du CD stereo confirmera que, E.M.R excepté, la musique de Plaid a ici muté jusqu’à la diminution, voire l’ennui), c’est une chouette réussite expérimentale. Le premier pavé d’envergure de notre petite histoire du multimédia, et un geste qui pourrait bien faire date. Si Warp arrive à en écouler plus de trente…