Calfeutrée depuis deux décennies dans les étalages des vide-greniers entre un pins clignotant de Kraftwerk, un aimant de frigo Giorgio Moroder et un godemiché griffé Cerrone, la malnommée italodisco (voir Chronicart #13) s’extirpe des abîmes de la musique électronique à l’allure d’une paluche de zombie émergeant d’une nappe de creosote. Quoi de plus normal, donc, qu’un gang de romains exacerbe avec une sensualité toute latine cet héritage funky des années Figurine Panini, pillé sans vergogne par les charognards fashionistas ?
Chez les Passarani, on mange le plat de résistance en famille. Depuis le début des années 90, l’oncle Marco s’évertue à jouer le parrain de l’electro made in Italy, couvant à lui tout seul une portée de labels (Pigna, Nature et Plasmek), rejetons émérites de la techno-soul noire américaine et de la braindance à l’anglaise. Cet aéropage siglé Final Frontier comporte ni plus ni moins que trois têtes brûlées aux pseudonymes riches et variés, rassembleés sur cet album-compilation sous la bannière Pigna People. En guise de titre, le message est clair : Let’em talk , manière de couper court à la stérilité du verbiage devant l’énergie pure du son, suivant le postulat énoncé dans les liner notes d’un obscur fac simile krautrock : « We’re looking for the way in an infinite space, our means of communication is non-verbal, the sounds lead us to one another « . Tou voi cé qué yé veu dire ? « Let the music do the talking », capito ? Inutile de leur chercher des poux, les Pigna People ne sont pas là pour théoriser à tort et à travers, mais pour faire retentir aussi fort que possible leur groove interstellaire, robuste comme un expresso bien serré. Obnubilé par l’efficacité « dancefloorescente », le trio joue du pied sans complexe, inondant chaque morceau de basses spectrales, de lignes de synthé aussi frétillantes que les jointures de Mr Fingers et d’imparables poum-tchak à l’ancienne qui signent le retour du 4/4 (tempo s’entend). Finies les plâtrées indigestes de tortiglionis algorythmiques, les cordons bleus de la Casa Pigna se sont approvisionnés à Chicago et Detroit pour mijoter une techno al dente, humectée d’un filet d’acid et parsemé de mélopées jazz-funk aux saveurs analogiques dignes des chefs les plus renommés d’Outre-Atlantique. Une tambouille cosmique qui exhale les fumets les plus capiteux de l’usine à soul d’Underground Resistance / Inner City, avec en point d’orgue le morceau Tribute, hommage aux pères fondateurs Juan Atkins, Carl Craig ou Derrick May. Musica di fiesta gastronomica !
Pour des saveurs plus pittoresques, prière de frapper chez Francisco, Toque d’Or de la disco a l’arrabiata et sosie malgré lui du chanteur Renaud. Adepte d’un morphing radical entre l’italo robot(n)ique, l’acid-house de papa et l’electro-funk dépravé qui affriole les lolitas du samedi soir, Mr Cisco (pour les intimes) s’approprie joyeusement les gimmicks les plus retro pour mieux jauger le futur. Il en résulte un chapelet de tubes proto-house aux beats rutilants, avatars d’un Music business détaillé dans le livret intérieur sous la forme d’un authentique jeu de société façon Monopoly (tout à fait jouable dans la version vinyle au livret dépliant) dont l’objectif est de décrocher un contrat avec une maison de disques. Un parcours du combattant échevelé (gaffe à ne pas se faire gauler en possession de stupéfiants) dont le groupe Jolly Music, formé par Francisco et son complice Mario, a préalablement pâti. Sur un plan musical stricto sensu, pas d’innovation majeure, mais une énergie extatique et une tonne de clins d’œil pour les experts (que ce soit aux productions Prelude de François K ou à Jellybean, au new age électronique des 70’s, à Brian Eno, Goblin ou John Carpenter). Francisco excelle aussi bien dans l’envolée funk aux synthés vibratiles (House Pigna, Ultimo) que dans la disco leftfield à rapprocher de Lindstrom ou Morgan Geist (Malinco, Moon roller), sans compter les interludes ambient, élégiaques comme un coucher de soleil sur Mars peint à l’aérographe (Filmissimo, Soul song). Music Business est avant tout un hymne à la sueur et au sexe, un shoot d’adrenaline qui renoue avec l’âge d’or de la dance music underground, quand les synthés analogiques prédominaient dans la plupart des productions (80 Voglia). Rien à redire, Francisco endosse son rôle d’entertainer d’outre-espace avec une vigueur et un mauvais goût glitter qui défie toute concurrence (testez donc le punkisant Esplanade 97 dans une fête entre amis, pour voir).
Alors que la standardisation commerciale a cruellement vampirisé l’âme de la house, la dream team Pigna poursuit sa quête d’une dance music à la fois ludique, inventive et musclée, un peu comme si Daft Punk avait chopé le bon virage. Après la French touch, l’Italomania ?