Piano Magic sur 4AD ? C’est tellement évident qu’on n’aurait jamais osé l’imaginer. Depuis le temps qu’on lui parle de This Mortal Coil et qu’il répond qu’il se sent plus heureux à égrener son art protéiforme sur d’obscurs petits labels vinyles ou chez sa copine Vinita Joshi (autrefois Wulrlitzer Jukebox et I Records, aujourd’hui Rocketgirl), Glen Johnson réalise son rêve de gamin. Il pouvait bien faire son malin.
Il préfère pourtant continuer (presque) comme si de rien n’était son petit bonhomme de chemin, et publie juste la suite du précédent Artists’ rifles, comme à chaque fois une réaction au prédécesseur. Moins gothique, plus maîtrisé qu’Artists’ rifles, ce Writers without homes triste et réservé confirme aussi la trajectoire de moins en moins excentrique du song-writing de Johnson. Hier encore faite de singulières constructions électroniques, de mots susurrés, de mises en sons impressionnistes (Popular mechanics), la musique de Piano Magic s’était peu à peu laissée dompter part les structures équarrisseuses de la chanson (voir le chef-d’oeuvre de transition Low birth weight, ou les miniatures électroniques tutoyaient les entrelacs de guitare dans une rare communion poétique et littéraire), puis par les sirènes quasiment gothiques de la new wave et des coups de fouets noisy (le casse-cou Artists’ rifles, donc). Il y avait également les innombrables singles, mini-laboratoires insaisissables où Piano Magic s’essayait à tout, de la pop à l’ambiant en passant par la krautrock et la noise (écouter l’indispensable compilation Seasonally affective).
Pour ce premier pas sur le mythique label britannique (après Son de Mar, une B.O. rassemblant raretés rejouées et illustration pour un film de Bigas Luna), Johnson essaye une nouvelle formule, entre vrai groupe éphémère et featurings prestigieux ou anonymes, et alterne miniatures intimistes et oniriques et rock crépusculaire au ralenti. Comme à chaque fois, malgré les évidents contrastes de forme, l’ensemble se tient presque comme un essai conceptuel. Ouverture silencieuse vite effacé par des martèlement de batterie tournoyants, glissandi incessants de guitare délavée (Music won’t save you from anything but silence), pianos-jouets pleureurs et voix défigurées de porcelaine (Postal), ballade liquide et mots déchue (The Season is long), fables diaphanes de mélodica poussiéreux et commentaires métaphysiques (Certaintly, Dutch housing), folk gris (It’s the same dream…) et final gothique de percussions tribales et d’orgue fantomatique. Les invités (Paul Anderson, chanteur de Tram, l’oubliée Vashti Bunyan, Tarwater, Simon Raymonde) passent mais ne sont que des fantômes parmi les autres, littéralement absorbés par la puissance poétique de l’univers de Johnson -exception faite de Caroline Potter, qui incarne à merveille un double plausible de l’anglais depuis le tout début. Pour peu qu’on laisse le temps à ce disque un peu chétif au premier abord de révéler ses facettes les moins brillantes et ses trésors cachés, la ballade triste et décharnée est souvent très belle, par moment même sublime. Son évident spleen un peu lettré cache une écriture sensible pleine de regards singuliers.
Alors on regrette d’avance que Johnson offre un disque aussi précieux et aussi subtil pour son arrivée chez 4AD, car la plupart n’y verront probablement que ses traits les plus grossiers. C’est bien dommage, l’univers de Piano Magic est plein de merveilles pour ceux qui prennent le temps d’y séjourner un peu. Et ce disque lui amène des nouveaux territoires d’une rare délicatesse.