Le label Morr Music se distingue de plus en plus de ses compagnons de chambrée electronica en ce que les disques édités par le label dépassent souvent la simple production musicale pour devenir aussi propositions éthiques, voire discours politiques. L’album doucement révolutionnaire de Lali Puna donnait ainsi récemment un peu de brillance contestataire à un genre musical abstrait et trop souvent « insignifiant ». De la même manière, et sans avoir besoin de brandir des guitares électriques saturées ou de brailler dans un micro, Elliot Perkins aujourd’hui, avec son projet électronique Phonem, met du sens dans le son, en l’occurrence un discours écologique sur une musique électronique instrumentale.
Celle-ci est faite de rythmes concassés issus du hip-hop, répartis sur de petites mélodies aquatiques, des drones dissonants et lointains, le mélange des deux produisant une musique ambiant et dynamique, psychédélique et rythmique. Et entre les flux et reflux tranquilles de l’eau et l’hyperactivité de l’homme et de ses machines, il n’y a qu’une transition à trouver vers la thématique de cet album : le barrage hydroélectrique Ilisu, en Turquie, qui donne son titre à l’album et auquel Elliot Perkins s’est opposé au nom de ses convictions écologiques et politiques. Les notes de pochette développent ses raisons, tandis que la musique liquide et le bruit des machines deviennent l’illustration sonore du conflit traditionnel opposant la nature et la culture, ou la mise en musique de leur nécessaire coexistence… Ilisu peut être perçu comme la dernière partie d’une trilogie commencée avec Phonetik (premier album de Phonem sur Morr Music) puis suivie par Hydro electric, sorti l’année dernière.
Christian Kleine, berlinois, sort son deuxième album sur Morr Music (après un premier opus sur le label ami City Center Office, Beyond repair ). Le titre de son album, Valis, titillera sans doute plus d’un lecteur de Chronic’art, qui y reconnaîtra un « concept » Dickien, largement exposé dans nos colonnes. Savoir en quoi la musique de Christian Kleine s’apparente au « Système Intelligent Vivant et Actif » de l’écrivain américain reste un mystère que plusieurs écoutes pourront peut-être révéler… En attendant, Valis est un très agréable album instrumental de musique électronique, dont les influences vont de Brian Eno à Boards of Canada, de Seefeel à Pan American, simplement atmosphérique mais maniant intelligemment les textures sonores, entre basses analogiques, distorsions numériques et réverbérations naturelles. Un album électronique et acoustique, planant et répétitif, mais fourmillant de détails sonores, de mélodies lointaines, de souvenirs musicaux (des résurgences new-wave côtoient des breakbeats speedés). Au final, un bel album sombre, organique et synthétique, hybride.