Anne-Sophie Mutter (violon). London symphony orchestra, Krzysztof Penderecki.
[+ BARTOK – Sonate pour violon et piano n°2, Lambert Orkis (piano)]
Longtemps, on a écouté la petite Anne-Sophie d’une oreille un peu goguenarde. Chacun sa croix : la jeune violoniste porta celle d’avoir été propulsée, à quinze ans, au devant de la scène (de Berlin) par un Karajan alors déprisé par une certaine intelligentsia -la même qui consent aujourd’hui à reconnaître quel chef considérable il fut. Evidemment, le maître avait du flair -comme il en aura avec Kissin-, et l’enfant-prodige est devenue, vingt ans plus tard, une artiste de tout premier plan. Ouvrant la voie, de surcroît, à toute une flopée de (très) jeunes archets féminins et talentueux, n’en déplaise à ces messieurs : dernières révélations en date, Leila Josefowicz et Sarah Chang, à suivre de très près…
La Mutter, donc, après un concerto de Brahms à placer tout en haut de la discographie, revient ici à son répertoire d’élection : celui du XXe siècle. Après Moret, Rihm, et surtout Lutoslawski (Partita), c’est au tour de Krzysztof Penderecki de lui dédier ces Metamorphosen, qui suffisent, à elles seules, à résumer l’évolution artistique du compositeur polonais. Revenu de toutes les expériences musicales qui ont marqué son époque (il faut avant tout écouter ses pièces sacrées, la Passion, le Thrène et Utrenja), Penderecki livre et dirige ici un grand concerto d’un seul mouvement, d’une facture assez classique -formaliste, diront les mauvaises langues-, et d’une beauté sonore entêtante. Bravant les tutti de l’orchestre (splendide LSO), le contre-chant du violon de l’Allemande imprime à l’oeuvre une dimension poétique et hyper-virtuose.
Le festival Mutter continue dans la seconde sonate pour violon et piano de Bartok : on se demande un peu ce que vient faire cette œuvre marginale ici, et on regrettera surtout le jeu bien poli de Lambert Orkis face aux contrastes saisissants de l’archet de la grande Anne-Sophie.
Stéphane Grant