Un son soyeux, d’une douceur presque insidieuse, qui sait pourtant à l’occasion prendre le tour plus direct d’une trépidation funky : la guitare de Paul Bollenback ne fait penser qu’à lui ou, peut-être, au charme discret de celle du meilleur George Benson. Son univers, par contre, reflète et synthétise l’immense érudition qu’ont pu lui conférer ses passions successives ou simultanées pour les musiques, d’un bord à l’autre de la palette des genres, de Santana et Montgomery, Burrell et Hendrix et, pour sortir de la six-cordes, Coltrane, Evans ou Hancock. Trompettiste classique et mélomane averti, Bollenback Senior lui offrit sa première guitare à l’âge de sept ans ; il ne la lâcha plus, s’attaqua au solfège avec détermination, s’imprégna d’une musicalité toute orientale lors d’un séjour adolescent de trois ans à New Delhi (il en gardera un attrait tout particulier pour les sonorités exotiques, manifeste notamment dans son album Original visions), découvrit l’électricité, acheta son premier Miles Davis et, en conséquence, tomba dans une musique qu’il fit immédiatement sienne. Itinéraire sinueux pour un musicien éclectique qu’on retrouve plus tard dans les formations de Gary Thomas, Stanley Turrentine, Jack McDuff ou Paul Bley, qui n’hésite pas à l’occasion à aller jeter un oeil ailleurs (chez les sympathiques jazzrockeux du groupe Spyro Gyra, par exemple) et qui trouve en Jeff ‘Tain’ Watts (batterie) et Joey Francesco (orgue) les partenaires d’une aventure dont les jalons enregistrés, moins remarqués que remarquables, s’intitulent Double gemini ou Soul grooves (les y rejoignaient notamment Eric Alexander et Steve Wilson).
Jeff Watts est à nouveau du voyage pour cette série de méditations lyriques et subtiles, solidement épaulé par l’impressionnant (à tous points de vue) et impérial Ray Drummond (contrebasse) -le vibraphoniste Joe Locke s’invite brièvement (un peu trop, d’ailleurs) sur le thème inaugural, Estate. Le trio poursuit donc seul de reprises (I fall in love too easily, The Summer knows de Michel Legrand, l’inattendu Wild horses de Jagger-Richards) en originaux (Attainment, belle composition du batteur), sur un mode effacé et résolument antispectaculaire qui incite à pousser le volume ou, mieux, tendre l’oreille pour s’immerger tout entier dans la manière discrète et élégante d’un musicien dont les rêves, bleus puisque baignés de blues, regorgent de richesses à découvrir.