Difficile de lire la trajectoire de Tomlab. Ancien microlabel amoureux de musique électronique de chambre (Aeron Bergman, Novisad, Rafael Toral) et de démarches de personnalités très fortes (Niobe, Jon Sheffield), la maison de Tom Steinle multipliait les bijoux discrets, les chefs-d’oeuvre de fond de tiroir (l’album unique de Jon Sheffield, la compilation For friends, le premier Sack&Blumm). C’était un peu le boudoir, le havre de paix des électroniciens allemands ou en exil, où on aimait jouer de la trompette. Et puis, en même temps que la dégringolade moderniste des musiques électroniques, Tomlab s’est cherché et ne s’est jamais trouvé dans la pop, multipliant les sorties un peu embarrassantes et les fulgurances notables (Casiotone For The Painfully Alone, The Books), en même temps que son pourtant passionnant label-jumeau Softl Music, dédié aux musiques plus expérimentales, se cassait la figure, faute de ventes suffisantes. La double sortie de ce printemps 2005 ne simplifiera pas la donne, surtout après la fabuleuse Antologia de musica electronica portuguesa récemment parue. D’un côté, le deuxième album du problématique crooner Patrick Wolf, de l’autre, la troisième pépite des Américains de The Books.
Cas n°1, donc : Wolf est un juvénile (21 ans) chanteur qui semble s’être mis en tête de pousser du vibrato, Wainwright-style, sur des arrangements mêlant bric-à-brac de cordes et piano, évidemment, et, c’est plus douloureux, rythmiques syncopées et collage de sons, idm-style. Epineux problème, le garçon s’en sort tellement laborieusement qu’on ne sait jamais où il veut en venir, s’il veut nous montrer que son coeur saigne et que ses yeux sont tout embués, ou s’il est un brillant ironique. Une parenté vocale avec Jarvis Cocker nous ferait, bienveillants, opter pour la seconde possibilité, mais le fait est que chaque montée en épingle (exemple avec l’abominable This weather), petits poings fermés, voix à tue-tête, sonne aussi juste qu’un mea culpa de Pulp, à savoir, pas du tout. Wolf n’a ni l’humour de Cocker, ni le génial décalage gracieux de Rufus Wainwright, et ses chansons pénibles, ses minaudages surjoués font juste rire.
Cas n°2, le formidable duo de Nick Zammuto et Paul de Jong, fait paraître son moins crâneur, son plus humble, et son plus brillant disque à ce jour. Toujours portés sur la chose collage, en même temps que sur la chose chanson, The Books se sont en outre emparés, avec un indécent talent, de la chose lettres. Après avoir fouillé, dit la légende, une quantité prodigieuse d’archives sonores de l’Armée du salut locale, les deux Américains ont brodé, autour des voix et des sons trouvés, des mini-chansons mélancoliques, doucement positives, bien plus révolutionnaires que ne le laisse deviner leur apparente simplicité et tranquillité. Jamais les mélodies ne s’emballent sans raison. Et quand un événement se passe, c‘est tout en douceur, via une voix doublée ou un écheveau de guitare s’échappant d’un filtre. Tranquillement, entre les notes de guitare, de vielle, et les coups de percussion, de minuscules événements, un cri d’oiseau ou une phrase d’archives toute poétique, transportent vers des ailleurs magiques. Plaçant, en outre, sans cesse, de très subtils commentaires sur leur modus operandi d’agencement de sons et voix trouvés, The Books ne semblent pourtant jamais redondants, jamais limités par les techniques qu’ils utilisent, ni par ce que ces techniques engagent, théoriquement, éthiquement, philosophiquement. Rien n’est plus simple que le fait de chanter, comme sur le doucement transgressif Be good to them always, les mêmes mots que les samples assemblés, pour poétiser le discours. Touchés par la grâce, The Books expérimentent en douceur, révolutionnent en douceur. Ils ont beau sampler Dali ou Magritte, commenter la vacuité inquiétante de la culture américaine contemporaine, ils n’ont jamais l’air pédant ou laborieux. Un petit grand disque, en quelque sorte.