Subtilité des textes, diversité des influences musicales (grands anciens, standards, couleurs pop) et littéraires (classiques anglo-saxons et pages antiques -« j’ai lu et relu Shakespeare et la mythologie grecque »), douceur et mystère d’une voix envoûtante, qualité et sobriété d’un jeu de piano tout en nuances : on commence à savoir, depuis A Distorsion of love (1992) et en passant par Cafe blue, Moderncool, Companion et Night club, ce qui fait de la brillante Patricia Barber l’une des plus passionnantes chanteuses de ces dernières années. Aucune reprise dans ce nouvel album qui convaincra sans mal ceux qu’avaient séduites les précédentes aventures de la native de Chicago : au répertoire des standards qu’elle avait jusqu’alors exploré avec beaucoup de réussite, Barber a préféré cette fois-ci dix titres originaux où éclatent à la fois sa sensualité bluesy et cette piquante distance intellectuelle qui fait le charme et la singularité de son univers. Le trompettiste Dave Douglas, déjà présent sur Moderncool, rejoint le groupe habituel de la chanteuse : Neal Alger (guitare : « c’est un guitariste acoustique né, explique Barber, mais c’est aussi un stratège. Lors d’une répétition, on a fait sortir 140 sons différents de cette guitare »), Michael Arnopol (basse) et Eric Montzka (batterie).
A l’initiative du producteur, Joey Baron vient offrir sur deux morceaux l’impact de son drumming faussement minimaliste (« il a une grosse caisse de la taille de Cleveland »). En résulte un Verse de bout en bout captivant où, d’une voix d’alto qu’on pourrait écouter jusqu’au bout de la nuit, Patricia Barber s’invente un monde où la poésie sombre n’exclut pas plus l’humour que l’érudition la sensualité : on appréciera tout particulièrement le piquant mélange de culture philosophique et de fantasmes sexy dans l’excellent I could eat your words (« I could eat your words / suck the salt from your erudition / light a fire under inhibition / season reason with a transitive verb », chante une jeune fille qui rêve de mettre son prof au lit) ou la richesse du texte de The Moon, qu’elle n’a composé qu’après s’être enfilée tout ce qui a pu s’écrire sur la lune depuis quelques siècles. Ailleurs, elle met Verlaine en musique (Dansons la gigue) et s’essaye, sur un morceau, à l’accompagnements à corde. Il y a comme un air d’héroïne de David Lodge chez Patricia Barber : hypercultivée, travaillée par son lot d’interrogations métaphysiques, irrésistiblement attachante. Un peu de femme fatale, aussi, lorsqu’elle s’assied au piano et, attentivement entourée, crée autour d’elle cet imparable atmosphère de club obscur et de film noir. Difficile de ne pas être conquis.