Si Pat Metheny écrivait, on ironiserait volontiers sur sa polygraphie : l’album studio de son trio n’a pas encore quitté notre discman qu’il en donne la version publique, captée au cours des derniers mois à l’occasion d’une série de concerts ponctuels sur trois continents et proposée, par surcroît, sur une double galette. Que Larry Grenadier (contrebasse) et Bill Stewart (batterie) fussent les partenaires de l’un de ses projets les plus convaincants depuis plusieurs années n’empêche pas une certaine perplexité quant à l’empressement du guitariste à rester sous les feux de l’actualité ; aussi clair soit-il que ce trio marque pour lui un véritable renouveau créatif, le format choisi pour cette publication apparaît bien gourmand au regard de ce que l’on peut y trouver de vraiment neuf. Les treize titres sont l’occasion d’un petit voyage rétrospectif vers différentes époques d’une carrière dont les moments en trio sont ici mis en valeur : au milieu d’une discographie pléthorique, ses albums avec les paires Jaco Pastorius / Bob Moses (l’inoubliable Bright size life, en 1975), Charlie Haden / Billy Higgins (Rejoicing, en 1984) et Dave Holland / Roy Haynes (Questions and answers, en 1989) restent d’ailleurs parmi les plus incontestables.
En Grenadier et Stewart, Pat Metheny a assurément trouvé deux instrumentistes à la hauteur de ce remarquable héritage -l’un tenant sa place dans un autre triangle phare d’aujourd’hui (celui de Brad Meldhau), l’autre tenu pour l’un des plus immenses batteurs actuels depuis sa découverte avec Bill Carrothers. Sur un répertoire pour la majeure partie déjà connu, Metheny et ses deux partenaires jettent ainsi les ponts vers un passé d’une indéniable richesse sans toutefois parvenir à l’actualiser vraiment : si l’on oublie une version de Question and answer approchant les vingt minutes, il faut attendre un Faith healer spectaculaire pour chavirer vraiment et se trouver face à l’inconnu. Là, au cœur d’une tempête électrique époustouflante, le trio affiche et réalise toutes ses qualités : cohésion et unité sur des territoires pourtant inexplorés, goût du risque et des grands écarts, variété et éclectisme des propositions, dans un passionnant morceau où sont frôlés aussi bien les climats hypertendus de Zero tolerance for silence que le lyrisme généreux qu’on connaît par ailleurs au leader. Ces dix-huit minutes prodigieuses, où l’on constatera qu’il est toujours dans les cordes du guitariste de nous ébaudir, anéantiront vraisemblablement toute réserve pour ses innombrables inconditionnels. Les autres attendront peut-être un programme plus consistant mais y en a-t-il seulement ?
Pat Metheny (g), Larry Grenadier (b), Bill Stewart (dms). Enregistré en 1999 et 2000 (Europe, Japon, Etats-Unis).