Eric Fifteen, auteur compositeur interprète et nerd en chef du groupe Party of One, vit dans l’Etat le plus froid d’Amérique, le Minnesota. Il est lui-même austère et asocial comme peut l’être un chômeur de longue durée qui a mis tous ses espoirs dans la musique sans en avoir jamais été remercié par son industrie. Jusqu’à aujourd’hui, quand sort son premier album sur le label intelligent Fat Cat (qu’on accusera, à tort, de manger à tous les râteliers : avant-rock mainstream avec Sigur Ros, electronica tordue avec Dorine Muraille, avant-rock tordu avec Black Dice), en espérant que cette belle visibilité, offerte à un album sans faille, le sortira lui de sa mauvaise passe.
En même temps, c’est sans doute la pressante cruauté du monde qui aura permis l’accouchement dans la douleur de ces 12 chansons tendues, prêtes à vous claquer entre les doigts. Punk-rock, pas loin de The Rapture, Pavement, Swell ou Can, ces 12 chansons sont misanthropes et menaçantes, comme 12 petits jugements derniers, sans pitié ni compassion. Faisant feu de tout bois autour d’un trio guitare-basse-batterie de base, des voix féminines (Terrika Kleinknecht, aussi bassiste) ou masculine (Eric Fifteen himself), ces 12 brûlots acides, enregistrés sur 8 pistes et masterisés sur PC, sont simplement lo-fi, mais travaillés au mixage pour devenir mutants (variations de volume, compressions inattendues, enveloppes mouvantes). Une pauvre sophistication, en un sens, qui rend l’écoute attentive.
Belles et violentes, les chansons alternent entre hargne et mélodies, arrêt du coeur et sécheresse du kick, sécheresse de la guitare (attendez le morceau caché). Violence urbaine (Scorch the brainwave), violence sexuelle (Baby doll), violence religieuse (Synagogue chamber Waltz), menace militaro-industrielle (Six millions anonymous deceased, Baghdad boogie), tous les aspects de la vulnérabilité et de l’exposition (de la sensibilité) sont listées par les plaintes colériques d’Eric Fifteen, le point d’orgue correspondant à l’entrée en matière de cet album plein de rancune, Snap you like a twig, petite homemade bomb à destination de votre système nerveux central : « I had a dream / A childhood dream / But i lost it when you took my self-estim / Look at you bastards what you’ve done to me / Can’t believe they let you free ».
Ce processus de mise en accusation passe par des guitares acérées et des mélodies au couteau. On écoutera ce disque avec un grandissant sentiment de culpabilité. Et c’est ça qui est bon. Les meilleurs disques font mal.