S’il est un homme dont la statue ornera probablement un jour le fronton de la mairie de Louisville, Kentucky, c’est bien David Pajo. Ce n’est pas un hasard si ce dernier a été surnommé le James Bond du rock américain : son CV remplirait un agréable volume du bottin, sa contribution exemplaire à la plupart des disques vitaux sortis ces quinze dernières années lui assure d’ores et déjà une place de choix parmi les personnalités les plus influentes des musiques de l’Union. Est-il besoin de rappeler que des séminaux Slint à Tortoise en passant par la plupart des disques de Will Oldham, de Royal Trux ou Stereolab, David Pajo fut presque partout et jusqu’à présent, un homme de l’ombre unanimement respecté ?
Ses avancées en solo (M, Aerial M puis finalement Papa M, quoi qu’il en soit, on n’est pas prêt de le confondre avec le célèbre amuseur francilien) se révélèrent régulièrement fascinantes, précautionneuses compositions exclusivement instrumentales, jusqu’à l’an passé où un simple mini album de reprises (Papa M sings paru sur Rock Action, le label de Mogwai) nous donnait a entendre pour la première fois David Pajo tomber le masque du génie multi-instrumentiste pour exposer au monde sa voix. Une voix qui étend sa peine sur ce disque inoubliable dès la première écoute. Après ça, on peut refermer le body-bag, avec le sourire du juste.
Ce Mont Rushmore du folk contemporain (il y a 5 ans on aurait encore pu écrire lo-fi, aujourd’hui on sait que tout cela fait partie d’un même monument…) s’articule autour d’une figure tutélaire assez évidente. L’ombre de Leonard Cohen plane en effet sur Whatever, mortal comme un vautour libérateur qui viendrait donner le coup de grâce à un homme immobile contemplant le fil de ses errances (relations, drogues, renoncement, meurtre, entre autres joyeusetés), avec cette sorte de lucidité inéluctable que la privation de sommeil procure parfois. Mais même si cette écriture est référencée (on y cite presque Johnny Cash dans le texte), elle est une somme d’influences construites et parfaitement assumées. David Pajo, avec l’aide de Tara Jane O’Neil (Rodan), Will Oldham (l’homme aux clefs d’or) et Britt Walford (Slint), a façonné avec les moyens du bord un grand disque de musique populaire américaine. Cette musique américaine qui ne ment pas, ils ont su nous la faire entendre comme au premier jour, juste un peu plus magnifique, ouverte et sale, plus angoissée, plus douce aussi. L’honnêteté même. David Pajo aka Papa M sait très bien faire ça. Comme dirait un ami texan: « Hey, you know that’s some serious shit… ».