David Pajo est l’un des secrets les mieux gardés de la scène indépendante américaine -on parle bien de scène indépendante, pas de la « College scene », et tient apparemment à le rester. Il est pourtant l’objet, chez quelques-uns, ce qui est déjà beaucoup pour lui, d’un véritable culte, tout simplement parce qu’il a fait partie de Slint, groupe aujourd’hui cité par un peu tout le monde comme l’un des précurseurs de la scène post-rock.
L’after-Slint pour Pajo a pris la forme d’une multitude de collaborations, avec ses amis de Tortoise notamment -qui à l’époque de Slint jouaient pour une partie d’entre eux dans Bastro-, avec Stereolab, Palace ou Royal Trux. Ce qui fournit au bonhomme une carte de visite impeccable, dont il se contre-fout joyeusement. Difficile à tracer, avez-vous dit ? Certes, il a plus récemment laissé traîner quelques indices -comme le Petit Poucet avait balancé sa poignée de cailloux- permettant de le pister : M, puis M is the Thirteenth Letter, puis Aerial M, et désormais Papa M. Des alias qui marquent un lent cheminement vers un travail de plus en plus personnel, quasiment en solo, et dont un autre signe est sa collaboration en cours avec un autre guitariste underground culte, Alan Licht.
Life from a shark cage, son effort le plus dépouillé en apparence à ce jour, a été mis en boîte dans divers studios, à Louisville (sa ville natale), à Chicago, San Francisco et même Londres, avec l’aide de Steve Albini (bien sobre) et Tim Gane (Stereolab). Une preuve de nomadisme pour un musicien ouvert à toutes les expériences et rencontres, mais qui ne nuit en aucune manière à la perception de sa musique. Clairement, David Pajo évolue vers un jeu de guitare qui n’est pas sans rappeler John Fahey, avec un touche d’abstraction en plus.
S’il faut encore évoquer, non pas des influences évidentes, mais des cousinages, on citera Jim O’Rourke bien sûr, Loren Mazzacane-Connors, Thurston Moore et Lee Ranaldo, voire même Keiji Haino. Quel est le lien qui unit tous ces artistes ? Le goût pour l’improvisation bien entendu, source d’un formidable élan créatif. Un élan que l’on retrouve sur Live from a shark cage, dès le morceau introductif, le bien nommé Roadrunner -on ne compte pas Arundel, petite chose méditative qui entame et clôt l’album. A la première écoute, cela peut sembler quelque peu décharné, désincarné, mais très vite, le morceau s’organise en une petite symphonie, pleine de contretemps et en même temps presque ritournelle.
On évoquait plus haut John Fahey, puis Jim O’Rourke ; ils restent en ombre chinoises tout au long des onze morceaux qui composent le disque. Le premier pour le côté pastoral, proto-folk, le second affirmant sa présence sur Pink holler par exemple, pour la manière de détacher les notes, mais toujours chez Papa M, on retrouve celles-ci soulignées par un fond de larsen, de distorsion traduisant, à n’en pas douter, une forme d’angoisse, de tension profonde (Crowd of one). Les lointaines réminiscences progressives ou psychédéliques sont bien assimilées puis réimprimées, sur un titre comme Drunken spree, et tendent à inscrire Pajo dans la grande lignée des guitaristes américains, en opposition aux européens.
Terre d’attache ne signifie pas pour autant œillères, Papa M le rappelle sur Bups, intermède pianistique devant beaucoup à la musique sérielle (comme le splendide I am not lonely with cricket). On l’aura compris, David Pajo est un musicien universel, œuvrant dans la discrétion, mais pas dans l’ignorance, et son disque intelligent est une vraie petite merveille. A écouter d’urgence.