Panti Will, c’est un peu Alan Vega, un peu Dj Shadow, un peu John Carpenter et beaucoup n’importe quoi. Ca peut être beaucoup plus que ça, si vous êtes capable de tirer des conclusions personnelles (ce disque est pour vous) ou mystiques (par exemple) d’une oeuvre musicale quelle qu’elle soit. Celle-ci est particulièrement ouverte à un véritable champ interprétatif, qu’il soit objectif ou subjectif. Entrez à vos risques et périls mentaux dans le bordel de Keshman, KoolMikke et DataFan with love, alliasses de Stéphane Bodin, François Marché et Michel Cloup, qui portent ici la double casquette perverse de Panti Will, quand ils sont par ailleurs membres honoraires et visibles des groupes Bosco et Experience (Hell semble se proposer d’ailleurs sur bien des points comme une expérience, et pas seulement un énième disque électronique). Jamais projet musical français n’aura autant pu convoquer influences diverses et variées : multiple et mutant, télescopant Residents, Mr Bungle, David Lynch, Beastie Boys, Charles Burns et autres foultitudes de freaks comme de gens normaux, ce disque probablement nihiliste est un patchwork outrancier et bruyant, associations d’idées et de sons possiblement angoissantes si l’on est un brin paranoïaque (ce disque est pour vous), intéressant (ou non) si l’on s’intéresse aux extrêmes conceptuelles musicales. Ce Hell, d’où aucun mot réellement distinct ne semble s’échapper (un peu comme le diable dans la Divine comédie de Dante, qui parle un langage de lui seul compris), est une inouïe mascarade, noise et malsaine, qui opère d’intéressantes manipulations nerveuses sur son auditeur (contre-pieds, ralentissements et accélérations, piste 11, le CD simule une rayure…). Plaisante comme telle.
Pas très loin de là, à Montréal exactement, Ghislain Poirier poursuit la mise en accusation initiée par Diabologum, Programme et Expérience en France (poursuivie par la Rumeur ?), oscillant entre flow rapologique et parlé-chanté manifeste, sur une ambiance électronique poisseuse et vrillant les nerfs. Le Montréalais passe en coupe réglée ses convictions de jeunesse : « J’avais des idéaux que je porte bien bas maintenant / Des convictions qui sont devenues des souvenirs / Je me suis fait prendre alors que j’espérais échapper au système / J’ai oublié d’où je venais…où je voulais aller » (Où je voulais aller). Moins percutant que désespérément las, Ghislain Poirier, bien connu de la scène électronique montréalaise, offre un disque alliant contemplation instrumentale et discours incisif, porteur dans sa noirceur, précis dans ses arrangements rythmiques, efficace dans ses combinaisons de sons et de sens.
Sur 12 morceaux, les deux autres titres rappés se détachent avec plus d’évidence et d’efficacité de ce beau marasme musical : ouvertement anti-américains, ils défendent l’identité et la culture québécoise, avec un accent ostentatoire, contre l’économie de marché : « Ton ambition c’est d’être plus gros qu’énorme / D’être un éléphant blanc qui marche sur le monde / T’es tout excité parce que l’Asie s’ouvre enfin à toi / L’avenir est tellement beau dans la mondialisation des marchés / Faire un pas en arrière, c’est pas bien gagnant / Allons de l’avant vers l’Eldorado économique / Et le suicide collectif des inégalités / mais tout le monde est égal devant une télé / Même les morts restent tranquilles devant le préfabriqué… ».
Deux disques, deux visions de l’enfer.