Autant le deuxième album solo de Noah Lennox, Person pitch, avait créé la surprise en devenant un classique instantané (élu meilleur album 2007 pour le magazine certifié sans cocaïne que vous tenez dans vos mains), délayant depuis son influence certaine en vagues de plus en plus éloignées (chill-truc, hypnago-machin, jusqu’à une récente hot-wave dont on ne comprend goutte), laissant sur la grève quelques beaux coquillages (Ariel Pink) au milieu des sacs plastiques (Best Coasts, Wavves), autant ce trop attendu Tomboy, reporté sine die, joué moult fois en live puis sur YouTube, enfin morcelé en plusieurs singles (sur Paw Tracks, Domino, Fat Cat, Kompakt), arrive un peu aujourd’hui comme un non-événement sur la soupe, curieuse manière de se tirer une balle dans le pied, en créant l’attente au risque de provoquer l’ennui.
S’il y a là modestie de la part de Noah Lennox, c’est bien dommage, car ce Tomboy mérite mieux que les précautions d’emploi de son géniteur, et l’indifférence probable de ses auditeurs. L’album déroule certes les tics d’usage (loops aquatiques, reverbs maousses, rythmiques ad-hoc, drones synthétiques et delays à l’envi), mais approfondit aussi certaines obsessions musicales qui en font plus qu’une redite : l’enfant de choeur semble avoir pris le dessus sur le garçon de la plage, et le falsetto haut à la Brian Wilson, que l’on entend sur Slow Motion, entonne une mélodie étrangement plus liturgique que pop, modérant ses effets et les arrangements pour laisser au chant tout l’espace (le preset de reverb’ « Cathedral »). Cette simplicité rend plus touchante, plus enfantine aussi, la voix de Noah Lennox, et nous rappelle que le garçon fréquentait bien la chorale de son lycée avant de faire des films expérimentaux sur les matières fécales et de se toquer d’Aphex Twin (ou de Steward Copeland). Cette religiosité un peu plus exaltée ici, a ses pendants monstrueux (voix ralenties rauques et graves, grondements sourds, présences menaçantes, animales, fantastiques, souffles de dragons, rires elfiques tordus) qui donnent à Tomboy un petit côté Max et les maximonstres assez hypnotisant, car toujours en périphérie (et on imagine l’apport de Pete Kember / Sonic Boom, rescapé bien perché des Spacemen 3, pour distiller en chimiste fou ces intrusions panoramiques-paranoïaques).
En se laissant glisser, ces chansons deviennent de vrais rêves d’enfants, comme le limpide Scheherezade, plein de wind et de chimes, toujours à la limite du creepy, mais comme une eau dormante, un rêve emboité, où tout est ralenti, disloqué. La profonde mélancolie qui se dégage de ces moments (le dernier titre de l’album, Benfica a un air de requiem, tout à la fois funèbre et victorieux) rappelle aussi le premier solo de Panda Bear, Young prayer, beaucoup plus autiste, sphérique, comme l’antichambre de sa belle carrière. Généralement, Tomboy affiche des durées « normales » pour un album « pop » (en comparaison des longues plages de Person pitch, jusqu’à 12 minutes) et semble vouloir se présenter comme tel : 11 titres, la voix plus en avant, les parasitages plus filtrés (et plus inconscients), un titre (Afterburner) qui propulse une basse en pointillés vers les sirènes du remix et du dancefloor. La belle fusion entre mélodies et expérimentations, qui a fait le succès d’Animal Collective, s’avère ici plus fragile, plus équilibriste, et en même temps, tellement rêveuse et singulière, qu’on l’écoute comme un privilège. Comme on aimerait parfois, en écoutant une chorale, entendre plus distinctement la voix que nous préférons.