Le singulier parcours de Paco El Lobo donne peut-être la clé de l’atmosphère particulière dans laquelle baigne cet album, son second après Grito. El Lobo n’est pas comme la plupart des chanteurs de flamenco un enfant du sérail, il n’est pas le dépositaire d’une tradition séculaire par tradition familiale. Le flamenco, il l’a découvert par le disque, une fameuse anthologie publiée dans les années 50 par Ducretet-Thompson. Mieux, peut-être que par legs, l’art flamenco lui échut par révélation. Ce pourquoi, après Grito, qui dit ce que fut pour lui, un payo, la rencontre de cette parole déchirée et cathartique, Aficion prend à son tour l’allure d’une anthologie personnelle. De tangos de Triana en rumba, de soléa en buleria, de tona en cartagenera, ce ne sont pas moins de onze styles qui sont illustrés ici, rendant un double hommage à de grands inspirateurs, parmi lesquels Rafael Romero et Pepe El de la matrona, comme à cette compilation qui le mit sur le chemin en lui désignant sa vocation. Mais le plus remarquable reste sans doute que jamais, justement, cet aspect bien réel ne prend le pas sur l’art tout personnel d’El Lobo, qui lui fait transcender majestueusement ces références historiques. Il est chez lui partout, en tout style, qu’il habite avec une passion qui jamais ne s’affiche comme celle d’un prosélyte. Cette souplesse, il l’a acquise au cours des ans, devenant un pédagogue réputé, à la mesure de l’interprète qui a su s’imposer sur les grandes scènes internationales comme à Séville même, et prendre place parmi les héritiers du sang. Dans un genre qui accorde tout à l’expression, on remarque une manière de sobriété dans sa voix qui ne force pas ses effets, mais s’autorise au contraire certaine droiture quand bien même elle s’applique à épouser le sismographe du cœur. Son jeu de guitare d’une grande clarté, efficace et sans fioritures -ce qui ne veut pas dire sans raffinement dans la sonorité-, renforce l’impression de probité qui se dégage de cette généreuse traversée de la mémoire flamenca. Vif dans les styles les plus » légers » la rumba conclusive, El Volcan, une des deux seules pièces de sa composition), il creuse avec émotion la veine aride de l’ancestrale tona pour voix seule. Et la cabal Abrase la tierra, un salut à Silverio Franconetti, ce chanteur hors normes du milieu du XIXe siècle, retentit de cette aficion qui donne son beau titre à cet album de la maturité : amour et engagement.
Paco El Lobo (chant, guitare, palmas, cajon), Enfants de la communauté gitane de Fontenay-sous-Bois (jaleo). Octobre et décembre 2000.