C’est dans la lignée des enregistrements de batterie solo de Bennink, Oxley, Cyrille ou Graves que vient aujourd’hui s’inscrire Paal Nilssen-Love, jeune (il est né en 1974) agitateur de la galaxie free-jazz scandinave étroitement lié aux projets de quelques-uns des musiciens les plus créatifs du moment, à Stockholm (le pianiste Sten Sandell, le saxophoniste Mats Gustaffson) comme à Chicago (le tromboniste Jeb Bishop et, surtout, le poly-souffleur éclectique Ken Vandermark). Un réseau de contacts et d’influences qui suffirait presque à définir les contours de l’esthétique à laquelle il se rattache (une musique libre, ouverte, active) et à résumer l’esprit des moyens mis en œuvre pour mener à bien ce projet ambitieux né dans la continuité des nombreux concerts solo donnés au cours des trois dernières années. Trois formats ont été retenus pour l’enregistrement, sous les voûtes de l’église Sofienberg à Oslo, en février dernier : un kit de batterie basique (charleston, caisse claire et cymbale), un kit de jazz standard et, enfin, un kit étendu comprenant plusieurs cymbales additionnelles, cloches, woodblocks et autres.
Crissements, bruissements, frottis des baguettes contre le métal, éclats sonores étoilés soudainement happés par un sourd bouillonnement terrien : si Paal Nilssen-Love met à profit toutes les ressources de son instrument dans un jeu de sons fascinant, il ne cède jamais aux débordements d’énergie qui caractérisent parfois les percussionnistes free, tout particulièrement dans les prestations solo ; ses étonnantes improvisations restent d’une réelle lisibilité, qu’il explore les harmoniques d’une cymbale ou se concentre sur la réverbération d’une frappe unique répétée à l’envi. On le suit sur ses onze chemins solitaires (des pièces d’une durée de deux à sept minutes) avec une curiosité inquiète mêlant fascination et désorientation ; qu’on cherche à en discerner les innombrables détours ou qu’on choisisse de se laisser emporter par un son global d’une impressionnante richesse, ce disque difficile et passionnant semble contenir et restituer à lui seul les enjeux et les directions des musiques improvisées d’aujourd’hui.