Initiée par des disc jockeys féru de rare grooves à l’ère du Paradise Garage et des loft-parties new-yorkaises, alors que les sonorités électroniques commencent tout juste à se mêler à la disco, le re-editing consiste, sur le modèle expérimental du cut-up, à sectionner méticuleusement les bandes magnétiques de standards funk, soul et disco de manière à obtenir des extended versions destinées à faire danser les fêtards en liesse. Le fruit de ce labeur, pressé au compte-gouttes sur des white vinyls, constitue à l’époque comme une étape initiatique, franchie en premier lieu par les figures tutélaires de la house et de l’electro. Avec l’avènement de la technologie numérique (merci Ableton Live), rien de plus simple aujourd’hui que de puiser dans l’énorme banque de sons conférée par l’histoire parallèle de la musique, pour réhabiliter à sa guise de géniaux artefacts trop vite enterrés. La fièvre du copier-coller s’est désormais emparé des Djs estampillés nu-disco, dont il est fort à parier qu’elle aura une certaine incidence sur le futur de l‘humanité, ou du moins réconciliera temporairement cette dernière avec une conception syncrétique du patrimoine musical de ces trente dernières années. Plongeant avec une voracité de fauve dans les entrailles de la disco obscura, du prog-rock, de la new wave, du hip-hop, de la soul, du folk ou du funk le plus biscornu (leftfield, comme on dit), cette nouvelle génération redonne du panache au sens de la Fête avec un grand F : celle qui laisse des traces indélébiles dans notre existence et aide à penser la vie différemment (encore faut-il en avoir les moyens, mais c’est un autre débat…). Pas une house cramoisie par les vertus du capitalisme ni du demago-funk pour teuf de patronage, pas de l’expérimentation arty complaisante ni de la barbapapa pop, mais du bon, du solide, du juteux, du sexy, qui vous colle direct une claque à l’âme et vous arrache des larmes d’allégresse. Fini le sampling à papa ou le remix chiadé, on tranche direct dans le lard. Mais loin de se laisser planer au-dessus d’un antan fantasmé que seuls quelques happy few auront finalement vécu, les charters de vinyles dispersés aux quatre coins de la planète jouent désormais les cigognes chez les patients du Dr Remix, émerveillés de voir tomber des cieux ces bébés orphelins à la mine aussi radieuse qu’un kubi de rosé. On a déjà dit tout le bien qu’on pensait du prodigieux travail de réédition du label Soul Jazz, quasiment le séquoia qui cache la savane ; il faudra désormais compter sur cette foultitude de micro-labels érudits qui ont entrepris de creuser toujours plus profond, et avec une pioche autrement plus affûtée que la tractopelle des 2 Many Dj’s et autres bootleggers poil-à-gratter tout juste bon à animer les gala d’HEC (ça ne fait plus aucun doute, nous sommes snob).
Le tandem british Optimo (dont le nom est tiré du track culte de Liquid Liquid), constitué en 1997 par JD Twitch et JD Wilkes, tient sans doute le haut du pavé dans cet éclectisme libérateur, et leur dernière sélection en date, titrée Psyche out (et dédiée à tous les psyched out people de la planète Terre), fait preuve de la plus grande perspicacité dans notre attente insatiable d’un élan de vie prodigué par cet au-delà musical, euphorie de l’instant où l’illustre inconnu comme l’évidence du hit révèle une saveur nouvelle, plus acidulée que celle d’une vulgaire madeleine. En batifolant dans cet océan de musiques miraculeuses, Optimo rend d’une part hommage à une époque où l’on gobait goulûment des fraises Tagada imbibées d’ergot de seigle, mais révèle aussi, à travers l’exploration illimitée du lexique musical, une forme de conscience cosmique, voire panthéiste, plus actuelle que jamais. Déjouant la notion de style sans perdre de vue la cohérence de leur assemblage, Optimo démontre que les Djs n’ont plus aucun mérite à se cantonner à un univers musical monolithique. Abreuvé de punk, de house, de krautrock et de no-wave, leurs mix « outer limits » reconfigurent brillamment le dancefloor et stimulent, non sans une part de malice érudite, la face cachée du braindancer. Cette lumière obscure se révèle aussi bien sur une balle space-rock d’Hawkwind que sur un fandango psychédélique des Silver Apples, sur l’electropop indus de Chris and Cosey que sur l’acid minimaliste de Sweet Exorcist, sur le funk majestueux d’Arthur Russell que sur l’increvable Walk the night des Skatt Bros (si,si, vous connaissez !). Le plus insidieux reste cependant Systeme imaginique, rarissime balle acid (303, 808, la roue tourne, faites vos jeux…). Sans compter les apparitions féeriques de Mr Fingers, des Stranglers, d’Herbie Hancock, des Temptations et des Simple Minds. Vous avez dit hétéroclite ?
Non content de déchaîner les passions en désherbant les prairies en jachère de la disco, Optimo transforme l’essai avec le kit vynil Betty Botox, idéal pour tirer une quelconque tupperware party vers des cimaises inexplorées. Quatre faces d’affilée, la blue bell girl énigmatique vous fait visiter le lupanar de ses rêves, où le strip-tease s’accompagne d’une avalanche de percussions (tam-tam, congas et autres handclaps organiques), de lignes de basse plus-funk-tu-meurs et de volupté sidérale. Une véritable ode au déchaînement des sens, pas si loin du doigté DFA dont on apprécie surtout les compilations foisonnantes. Mais saurez-vous retrouver votre chemin dans ce labyrinthe borgesien dénué de panneaux indicateurs, hormis les titres détournés des morceaux originaux (No more Nagasakis, Back to the piano magic, Began to spank, Fist and shout…) ? Allez, on vous donne quelques mots-clés glanés par nos mouchards : Motown, Verve, Woodstock, Penis Envy, drag queen. Pour le reste… Optimo les grands remèdes !