La flegmatique bonhomie avec laquelle Olu Dara, dilettante inspiré, sillonne les musiques métissées du Sud du continent américain pour en tirer un son réfractaire aux définitions trop précises est à elle seule un pied de nez magistral aux suiveurs agités qui se bousculent sur le devant de la scène. Touche-à-tout tranquille, artisan sybarite (jetez un œil sur la pochette) taillant ses pépites au rythme lent d’un blues chaloupé mâtiné de couleurs caraïbes, Dara a attendu d’avoir soufflé quelque cinquante-sept bougies pour enregistrer, en 1998, un premier album pimenté, concocté sur la base d’ingrédients glanés au gré d’un parcours musical bien rempli, from Natchez to New York comme l’indiquait le titre. Un album trop original pour réduire le trompettiste à ce Don Cherry bis que voyaient en lui les compagnies phonographiques chez qui il allait sonner. Tout aussi atypique et certainement plus irrésistible encore, Neighborhoods est un nouveau festin de saveurs sudistes où se condensent en une petite heure tous les sons du Mississippi, blues moite et funk balancé, couleurs d’Afrique et festivités latines ; autant de régions traversées un jour ou l’autre par ce baroudeur nonchalant qui, à l’orée des années 60, s’enrôla dans la marine pour voir du pays et entamer cette moisson de musiques qui nourriront et modèleront peu à peu la sienne.
La jeune recrue -qui s’appelle alors Charles Jones, troisième du nom- parcourt l’Europe, l’Afrique, les Caraïbes et s’incruste partout où elle le peut, accompagnant une fanfare un jour et un combo jazz le lendemain. Débarqué à New York, Dara s’affichera aux côtés des jazzmen de la Loft Generation -Hemphill, Murray, Rivers ou Threadgill- ; infatigable, il passera aussi par la case harmolodique (Jamaaladeen Tacuma, James Blood Ulmer) avant de former son propre orchestre au début des années quatre-vingt. De ses multiples voyages et expériences, il tire un mélange rare aux parfums contrastés face auquel l’abandon lascif est sans doute la seule attitude possible : il y a là un inclassable diamant funky aux accords mélancoliques qui mériterait sa place dans la play-list de toutes les FM du monde (Neighborhoods), un micmac introductif explosif où les voix sont à la fête dans toutes les langues (Massamba), un blues acoustique minimaliste au rythme infernal (Strange things happen everything), une chanson colorée où le Mexique défile sur un tapis de percussions africaines (I see the light)… Olu Dara, guitare habile à l’épaule, voix puissante et trompette ciselée, invite à un périple métissé en guide élégant et omniscient, au demeurant servi -ce qui ne gâche rien- par une production grand luxe (Yves Beauvais est aux commandes). Le Mississippi tout entier se jette paresseusement dans ce disque inondé de blues et de soleil.
Olu Dara (tp, g, voc), John Abrams (ts), Kaweti Jones-Quartey, Ivan Ramirez (g), Dr. John (elp, org), Fredger « Saïd » Dupree (elp), Rod Williams (org), Alozon « Skip » Gardner (elb), Larry Johnson, Greg Bandy (dm), Coster Massamba (perc, voc), Cassandra Wilson, Contrese Alloway, Terril Joyner, Rucyl Mills (voc).