Aussi brillant soit-il, Everything in between n’avait pas tout à fait réalisé les folles promesses de Nouns, premier véritable album (après un Weirdo Rippers composite) du duo noise californien et claque monumentale de 2008. C’est armé d’ambitions conceptuelles que No Age revient à la charge aujourd’hui avec cet Object à la gloire de la matérialité musicale. Un positionnement théorique à la fois crânement anachronique et massivement zeitgeist qui, au delà de ses manifestations périphériques (le groupe a manufacturé lui-même les 10 000 premiers exemplaires du disque, les pédales utilisées sont méticuleusement listées), aboutit au disque de rock à guitares le plus passionnant entendu depuis le Bitte Orca des Dirty Projectors, faisant rétrospectivement de leur précédent opus un album de transition.
«On a sculpté celui-ci. On a ajouté de la poussière.», explique Dean Spunt à propos du temps conséquent passé en studio pour un album sonnant aussi direct (et d’ailleurs constitué essentiellement de premières prises). L’impression qui saisit l’auditeur est en effet celle d’un son taillé dans le monolithe noise pour offrir des prises au toucher, et des interstices pour que passent l’air et la lumière. D’ailleurs entre les deux assauts inauguraux – No Ground et C’mon, Stimmung – No Age glisse le plutôt pop I won’t be your Generator, une réussite qui trouve plus loin un magnifique écho avec la délicatesse des sublimes An Impression et Running From A Go-Go: ce n’est plus là de la sculpture, mais carrément de la dentelle sur pierre.Et si les morceaux peuvent résonner tour à tour stoner, droney ou hardcore, il se passe toujours autre chose – à leur surface ou dans leur noyau – qui vient simultanément faire respirer et densifier la matière. Les compos sont courtes, volontiers minimales, mais chaque écoute en révèle de nouveaux détails : le port du casque est ici obligatoire. On songe, parfois, à du shoegaze débarrassé de ses chichis, à un Sonic Youth condensé, pourquoi pas à des Young Marble Giants énervés – ce qui fait déjà pas mal de bonnes nouvelles pour un seul disque.
On retrouve aussi, dans les concrétions ici travaillées, de la poussière de briques du Berlin 70s arpenté par Iggy Pop et David Bowie, et des pans entiers de murs du CBGB punk. Une large palette qui, avec des morceaux qui portent d’infinies promesses au-delà de ce qu’ils donnent, laisse entendre que Randy Randall et Dean Spunt en ont encore sous le pied. En attendant les épisodes futurs dont on n’ose encore imaginer la puissance, on laissera ces 180 grammes d’acétate sur nos platines, artefact à la gloire de la corde triturée par lequel le label Sub Pop se montre digne de son histoire, tourner sans fin comme un objet sans âge.