Stoa, le premier album du groupe « Ronin » de Nik Bärtsch, était une curiosité qui avait fait date : à la tête d’une petite formation jazz, le pianiste suisse faisait de la musique comme on joue aux cubes, en emboîtant de petits modules mélodiques les uns dans les autres et en jouant sur la répétitivité, l’hypnose, la polyrythmie, l’accumulation de couches musicales. C’était fascinant, et l’on pensait à une sorte de rencontre improbable entre les Counterpoints de Steve Reich (décalage, minimalisme, cellules musicales montées ensemble) et certaines directions prises par le jazz contemporain le plus hanté par les rythmes binaires (EST, notamment). La recette ne change pas dans ce second volet, baptisé Holon : même atmosphère un peu clinique et conceptuelle, même système musical fascinant fondé sur la répétition et les modules (les morceaux s’intitulent précisément « Modul », avec un chiffre). Pour évoquer son groupe, Nik Bärtsch’s parle d’un « bio-système musical » : l’expression peut sembler pompeuse, mais elle correspond finalement assez bien à l’impression que laisse cette musique, celle d’un corps cellulaire en perpétuelle recomposition, qui se construit et s’étend par mitoses successives, avec une pulsation biologique en guise d’horloge. Dans ce contexte, précise le pianiste, « il est très difficile de dire quand les solos commencent, ce qui est improvisé et ce qui est composé ». Difficile, aussi, d’exprimer ce qui change par rapport à Stoa, tant ce qui saute aux oreilles est la similitude avant les différences : on notera malgré tout que l’instrumentation est désormais complètement acoustique (terminé, le Rhodes), que les sonorités sont plus étouffées que dans Stoa, où le piano était plus cristallin (ici, des jeux sur les cordes, sur les graves, le moelleux) et que, à en croire le leader en tout cas, le résultat est plus abouti encore. Ce qui est certain, c’est que cette musique n’a rien perdu de son pouvoir de fascination, ni de son caractère rigoureusement inclassable (jazz, pas jazz / pop ou classique / minimaliste ou pas, etc.), et que sa charge « théorique », « conceptuelle », disons, la rend aussi passionnante, si l’on est prêt à faire le deuil de la chair et à accepter un plaisir qui, il faut bien le dire, est d’abord un plaisir de l’esprit, que, par exemple, celle d’un Steve Coleman, autre grand ésotérique mathématicien devant l’Eternel numérique.
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