Il est des nouvelles dont on se passerait volontiers. La dernière en date concerne la séparation de Royal Trux, groupe new-yorkais d’inspiration punko-psychédélique. Une multiplicité d’emprunts assemblés selon le mode d’un décousu festif et délirant, voilà ce qui risque fort de nous manquer dans les années à venir.
Aussi la sortie du premier album solo de Neil Hagerty apportera-t-elle peut-être une certaine consolation aux admirateurs du monde truxien. Loin de l’opulence instrumentale habituelle, Neil Hagerty est la captation intime (le New-Yorkais, seul maître à bord) d’une expérience ultra-minimaliste (caractère artisanal de la production). Un attirail plutôt restreint (orgue, guitare électrique, bidouillages électroniques et rythmes programmés), un jeu d’une stupéfiante simplicité technique (rarement plus de trois accords) qui laisse une très large place à l’improvisation, une orchestration qui s’apparente le plus souvent à du bricolage lo-fi, telles sont les composantes d’un album qui revisite -tout en les miniaturisant à l’extrême- musique psychédélique, rhythm’n’blues, rock’n’roll des 50’s et country-folk. Derrière cette alléchante description, se profilent pourtant onze pièces très inégales…
La première chose qui étonne sur cet album, c’est l’utilisation singulière des rythmes programmés. En effet, à l’exception de deux morceaux acoustiques, les rythmiques s’organisent toutes en une suite de pulsations plus ou moins rapides qui, une fois mises en place, n’évoluent que très peu. Un son sourd en souligne le caractère humain (battement de cœur) ou animal (le galop rythmique de Tender metal ). Hagerty s’inspire de « bruits de chaussures sur un terrain de basket » et de « cartons frappés par des gamins en colère ». Le rythme -et ça n’est pas sans rappeler l’univers de Bo Diddley (Down home special)- se voit ainsi traité comme une donnée brute, étrangère à toute sophistication.
Le disque débute par trois petites merveilles. L’excellente complainte Know that tend vers une certaine nostalgie des années 50 (premières notes de guitare, choix de la réverbération). La nonchalance à l’égard de tout effort vocal donne naissance à un chant des plus approximatifs et annonce la tonalité désenchantée de l’album. Fortune and fear témoigne de la fascination que la musique psychédélique a toujours exercé sur Hagerty (riff de guitare soutenu par l’orgue et joué en boucle). L’espace sonore, parce qu’il s’emplit peu à peu -et ce, jusqu’à la démesure- de notes de guitares saturées, mène la pièce vers sa propre déconstruction. A l’orgue, une réplique instinctive du toucher animalsien (ou de celui de n’importe quel groupe de rhythm’n’blues anglais) tente en vain de domestiquer l’expansion croissante et improvisée du solo. On ne saurait décrire l’émotion que suscite une telle saisie de l’instant où l’univers semble échapper à son créateur. Repeat the sound of joy nous promène du côté de la country-folk. Là, c’est le son velvétien provenant du glissement maladroit de l’archet sur les cordes d’un violon qui nous touche.
Ensuite les choses se gâtent et ce disque devient le compte rendu d’une inspiration qui s’épuise peu à peu. A partir de Kali the carpenter, désenchantement et improvisation, réduits à l’état de simples procédés, perdent leur puissance d’évocation. Ce ne sont plus les morceaux qui retiennent notre attention mais les différents moments qui les ponctuent, trouvailles (le chant sur Kali the carpenter) et ratages (les balbutiements électroniques qui ouvrent la pièce) se partageant désormais le même espace sonore. De plus, d’innombrables soli guitaristiques improvisés condamnent le musicien à un pénible ressassement (Oh to be wicked once again). Certes le son est d’une beauté constante (modulation ingénieuse de la tessiture des différentes saturations). Or comment oublier que la simple adjonction des différents instruments (Chicken, you can roost on the moon) remplace bien souvent tout effort de structuration ? Le verdict est donc des plus délicats. Que faut-il entendre au juste sur Neil Hagerty ? Un fourmillement d’idées que des mains paresseuses ne font qu’effleurer ? Une quête sincère de renouvellement ? Laissons donc à l’avenir le soin de trancher.