Il y eu les compilations Passe ton bac d’abord, sous la houlette de l’inamovible patriarche Eudeline, ou Paris calling. Il y a la déferlante actuelle de sujets TV-radio-presse tout terrain sur ces fameux combos rock’n’roll, se multipliant comme champignons à l’automne. Entre temps, ce qui constituait une petite scène panamo-parisienne, faisant le bonheur de lycéens cherchant « leurs » Libertines, a dépassé le cercle d’une certaine hype acnéique pour s’étaler en tous lieux, du mag de votre belle-mère au Ce soir ou jamais de Taddeï, en passant par le JT de Pujadas… A tel point que nos jeunes amis, vite assimilés les uns aux autres, comme dans un vulgaire sac de pommes de terre, se sont trouvés flanqués d’une étiquette « babyrocker » aussi tristement méprisante qu’injustement fourre-tout.
Depuis lors, l’expression « être attendu au tournant » a repris du service -et pas qu’un peu- tant se sont multiplié, avant même l’audition d’un quelconque titre, les réactions épidermiques sur ces supposés « pistonnés », « fils de » et autres qualificatifs appelant à couper la tête du Roi ! Comme si le rock bizness n’avait jamais été aussi affaire de réseaux, filiaux ou non… D’autres groupes auraient sans doute été moins vite exposés sans un papa ou une maman bien placés, que l’on pense à Superbus, conduit par la fille de Chantal Lauby, Autour de Lucie, enfanté par la fille de Mme Philippe Gildas et même -plus loin encore- Taxi Girl, signés par une major sur la foi de leurs 16 ans de branleurs lycéens ou grâce à l’appui du papa du batteur, un certain Jacques Wolfsohn, influent Directeur Artistique de Jacques Dutronc, entre autres, et patron de label… Ces groupes n’ont jamais essuyé ce genre de critique, pourtant. Peu importe. Si on suppose qu’il sera plus facile à un « fils de » de sortir un album, on sait aussi que ça ne dédouane pas de la nécessité d’être en mesure de produire une musique un tant soit peu consistante pour exister : qui écoute les disques d’Adam Cohen (fils de Léonard), de Julian Lennon (fils de John) ou de Jakob Dylan (fils de Bob) pourtant exposés plus que nécessaire en leur temps ?
C’est précisément l’étape que franchit aujourd’hui une bonne partie de cette génération spontanée, présentant enfin un premier album. S’ils ont en commun la concision (deux de ces albums évitent de dépasser la demi-heure musicale, comme au bon vieux temps des premiers Beatles, Beach Boys, etc.), la comparaison s’arrête là tant les intentions et les résultats semblent différents. Honneur au dames, on commencera par les Plastiscines et leur LP1 (dont le titre ne semble laisser aucun doute quand à une suite sous des intitulés aussi sexy que « LP2 », « LP3 » ?) porté par un single chipie, entendu un peu partout, Loser. Pour peu qu’on aime les girl group et les Ramones, Les Plastiscines ont tout bon sur le papier : paroles teenage, efficacité pop et sonique, chouettes fringues, jolis minois. Pourtant, dès le single, quelque chose manque : si on retient, comme souhaité, le gimmick du refrain (« Tu n’es qu’un loup / Tu n’es qu’un loup / Tu n’es qu’un loser »), force est de constater qu’une écoute plus attentive révèle les limites d’une voix assez laide sur l’ensemble de l’album, en particulier sur les titres en anglais, le chant est poussif, singeant sagement les tics punk, version Assimil, pour un résultat assez proche d’une Sylvie Vartan mimant en son temps le Locomotion de Little Eva pour transformer le groove original en tambouille yéyé. Le reste de l’album ne remet pas en perspective ce Loser carte-de-visite, bien au contraire : on croisera au long de ce LP1 des titres bien plus irritants ou inconsistants, au premier rang desquels le tête à claque (Zazie fait de la bicyclette -la pauvre batteuse, Zazie, a d’ailleurs déjà été virée du groupe pour incompétence : punk attitude !- ou ce communautaire Pop in pop out, qui parlera aux habitués du fameux bar du 11e, sans parler d’atrocités comme No way où la musique dispute aux paroles le privilège d’être le plus hors propos. On se demande encore ce que Maxime Schmidt (éminence grise ayant brillé auprès des jeunes Kraftwerk ou même -tiens !- de Taxi Girl) est venu faire dans cette galère. Les disques des Calamités ne sont pas près d’être détrônés par ces filles en plastoc.
On ouvre la porte à BB Brunes et leur programme Blonde comme moi qui semble partir d’une posture un poil plus rétro : leur chouette single, Le Gang, vise plus les Kinks que les Ramones. Sur la foi de ce titre, on passerait volontiers sur la dimension passéiste du propos -hé, les mecs, vous venez des fifties ou de Joinville-Le-Pont ?- simplement parce que le morceau est suffisamment bien craché, voix tendue et riffs sous influence Davies, on le disait. Alors, oui, on se laisse prendre à cette réification des guerres de clans, la sauce Leader of the pack. L’écoute de l’album relativise pourtant l’enthousiasme dès le morceau d’ouverture, ce très casse-gueule J’écoute les Cramps qui souligne surtout l’impression gênante que les BB Brunes écoutent le séminal groupe de Lux et Ivy sans en subir tout à fait l’influence dans leur propre musique : porter un T-shirt des Stooges ne vous donnera jamais la vibration d’un Iggy Pop ! Ne soyons pas chien pour autant, quelques autres passages du disque sont bien torchés : Perdus cette nuit, agréablement cliché, ou Houna (toutes mes copines), à la frustration sexuelle communicative. Seulement aucun titre ne vient relayer ou, mieux, dépasser le frisson initié par Le Gang. Et puis, bien plus impardonnable, d’autres morceaux enfoncent l’album dans la mélasse, tels ces Dis-moi ou Mr Hyde, tendant un horrible pont entre Téléphone et Raphaël. Bref, les BB Brunes déçoivent sur la longueur d’un album qui ne semble pas savoir dans quelle direction aller là où un EP aurait eu de la tenue et même un certain panache.
Et les Naast, me direz-vous ? Bah, vous savez déjà, non ? Les plus connus, les plus haïs aussi, sans aucun doute. Les premiers surtout. Leur Antichambre programmatique (ils ne font pas de la musique d’appartement, n’en déplaise à la scène indie-rock de la génération précédente !) a pourtant étonnamment plus d’allure et de consistance que ce dont à pu accoucher le reste de la classe. A la différence de l’écueil rencontré chez les BB Brunes ou les Plastiscines, leur single, Mauvais garçon, annonce une couleur qui est tenue sur toute la durée de l’album. Tout d’abord, ce groupe a un « son ». Le sien. Plus difficilement réductibles à la photocopie d’une figure tutélaire (ils semblent avoir digéré l’iPod de Gargantua en personne), ils se passent de la proverbiale basse pour la remplacer par un orgue qui souligne le propos ou l’aide à s’envoler. Et puis ces choeurs adroitement lofi sont du meilleur effet, comme un contre-point à la voix incroyablement extravertie et chaude de Gustave, leader du quatuor. Mené au pas de charge, Antichambre convainc sur la durée par l’électricité dégagée par chaque morceau, qu’on se situe dans la tension (Complications) ou la confidence (Coeur de glace). Les titres s’enchaînent comme s’ils suivaient la trame d’un scénario : il faut reconnaître à Gustave un certain talent à alterner les mots simples et quotidiens (Tu te trompes) avec des formules plus surréalistes ou élaborées (« une personne courant d’air ») qui concourt à renforcer le style et la personnalité du groupe. Alors on les absous de la seule « faute » qui leur reste collée au cul : être soupçonnés de pistonnage (et, comme on le disait en préambule, non seulement on s’en fout mais ça ne fait pas tout). Et puis, oui, on oubliera les prestations un peu têtes à claques dans quelques talk-shows (chez Taddeï, par exemple) où c’est sans doute davantage le stress et la pression qui s’exprimaient qu’une supposée bêtise prétentieuse : les Naast sont à voir avant tout sur scène où on n’a pas vu des français aussi convaincants et captivants depuis longtemps. Un truc peu souligné mais incontestable.