M.Ward, dès ses débuts discrets, est apparu comme le dernier rejeton véritablement consistant d’une famille composite (Lambchop, Howe Gelb, Jason Lytle), ayant reconfiguré deux décennies durant, la chose dite « americana » à l’aune d’une modernité ayant presque aujourd’hui valeur de « classique ». Famille qu’on vit reconsidérer sa propre histoire depuis ses périphéries les plus inattendues et enrichir avec panache une certaine tradition country-folk d’apports iconoclastes (soul, musique orchestrale, onirisme synthétique, beach boys, expérimentation), nous rappelant par là combien la chanson américaine demeure, à son meilleur, ce confluent jamais asséché des forces les plus impures et vives.
Après la galante escapade She and him, le jeune songwriter prodige signe aujourd’hui l’impeccable Hold time, album d’une perfection minérale en matière d’écriture ample, de vivacité et de variété d’humeurs. C’est tissé comme d’habitude d’arpèges virtuoses appris chez John Fahey, barré de riffs éternels puis chauffé au bain marie de réverbs plus ou moins naturelles. Suspendu à de beaux claviers en apesanteur ou enguirlandé de cuivres et cordes, c’est l’ idéal pop d’un petit maitre songeur et curieux ayant toujours reniflé très naturellement à tous les flacons capiteux (django et louis armstrong, bach et l’impressionnisme français, le folk des pionniers, la science fiction des drive-in en 3D). Eminemment fureteur, Hold time n’en pas moins assez nostalgique dans sa tonalité générale. On y salue l’âge d’or du rock n’roll (et Buddy Holly, repris au passage), on s’y épanche comme une teigne blessée en quelques slows qui tuent (la chanson titre, éthérée ou Oh lonesome me, duo mixte et mélo technicolor), on pleure les paradis perdus et l’enfance en allée. Simultanément, et c’est aussi ce qui fait son charme, M.Ward n’a de cesse de célébrer l’instant (littéralement, dans le texte ou dans l’outre-bref des soli joyeux et irréguliers.qui lèchent l’album sur tout son épiderme).
Il y a là suffisamment de ballades tire-larmes (Blake’s view, à se jeter par toutes les fenêtres à la fois) et de perles consolatrices (Epistemology, chanson bras ouverts), de voyouteries chic et de montées de sève impromptues pour qu’Hold time, battu par la pulsation – signature d’une guitare reconnaissable entre toutes et produit dans l’or et le carmin, fasse immédiatement figure de classique instantané. La plus belle œuvre, peut-être, de ce garçon dont on fera sans discuter le bel ami de nos penchants filles.