En quatre années, le plus grand groupe de rock jamais formé à Seattle a vu son bassiste démissionner et s’est fait poliment éjecter du label Reprise. Après l’album Tomorrow hit today (de loin, leur moins bon opus), l’édition d’une compilation et d’une galette BBC Sessions, tout laissait à croire que Mudhoney était arrivé en fin de parcours. Comme par thaumaturgie, ces mirifiques vagabonds de l’histoire du rock reviennent aujourd’hui, accompagné du bassiste Guy Maddison (Lubricated Goat, Bloodloos) pour nous livrer un album aventureux et psychédélique au possible, animé par une rage que l’on croyait perdue à tout jamais… Touch me I’m sick…
Bahm ! Dès l’ouverture, on sent une nette influence des projets parallèles de Mark Arm dans la nouvelle optique sonore abordée par le groupe (Bloodloos pour le côté ultra psychédélique, Monkeywrench pour l’aspect garage désarticulé). Une avalanche de wah-wah cradingues se mêle à des lignes de Fender Rhodes subtiles, passés au delay infini, tandis que Dan Peters martèle un rythme saccadé à la violence contenue, un saxophone mutant nous arrachant les neurones un à un… Alors qu’on n’y croyait plus, la chaleur monte et la fumée nous aveugle. Baby, can you dig the light confirme ce qu’on pensait depuis longtemps mais que l’on osait plus croire : Mudhoney est le seul et unique groupe encore aujourd’hui capable de réveiller le cadavre des Stooges… Une fois sorti de ces 8 minutes d’électrochocs continus, l’enchaînement avec The Straight life laisse à peine le temps de respirer. Sur un bon rock garage impulsif et bien gras (dans la pure veine Monomen ou Cheater Slicks) se greffe une section cuivre impressionnante; une initiative qui reprend le boulot là où John Spencer l’avait laissé sur Get down lover. Vient ensuite In the winner’s circle, et nos tympans s’accrochent à une complainte douce et torturée qui ne peut s’empêcher de finalement tomber dans un déluge de punk bordélique, chargé de superfuzz grinçantes et de bigmuff pâteuses à souhait.
On continue à exulter lorsque Our time is now débarque avec fracas. Expulsant comme toujours ce bon vieux Arm en dehors des sentiers battus du rock à papa, le groupe se déchaîne ici sans ambages. Impossible pour ces éternels slackers de se tenir à carreau sans finir par faire exploser le Mesa-boogie et hurler à s’en déchirer la gorge…. Sur Dying for it ou Inside job (on notera la présence du guitariste des MC5), la puissance et la rage dégagées rappellent nettement les passages les plus énergiques de l’album Every good boy deserves fudge (Thorn, Something so clear…). Structure primitive, batterie anti-linéaire et impulsive, surabondance volontaire d’effets electro-harmonix sur guitares incontrôlables… Avec ce style de morceau, on se dit à première écoute qu’on a à faire à du Mudhoney pur jus dans l’esprit. Mais dans un second temps, on s’aperçoit très vite que c’est plutôt du Mudhoney brillamment repensé dans la forme, notamment grâce à une production protéiforme des plus attirantes. Le disque a été enregistré dans plusieurs studios, avec des metteurs en son différents, ce qui lui donne un aspect « d’objet sonore alien » en constante évolution. Since we’ve become translucent est donc un album de remise en question, un de leur meilleurs depuis les mythique Piece of cake ou Every good boy. Un grand merci au label Sub Pop pour avoir repris en son sein un des groupes phares d’un mouvement (le grunge, est-il permit de le rappeler) qu’on croyait à jamais perdu dans les entrailles de Offspring et consorts.