Après plusieurs années de loyaux services rythmiques, réunie chez Antoine Hervé ou séparée chez Jean-Michel Pilc ou Martial Solal, la paire la plus fraternelle du jazz français s’aventure enfin dans son propre monde et ouvre, comme il se doit, ce Power tree aux doubles couleurs du jazz et de la chanson. Inutile de préciser que l’entente de Louis Moutin (batterie) et François Moutin (contrebasse) -aussi vrais jumeaux que vrais musiciens- est totalement irréprochable : sur le tapis de percussions déroulé par le premier, le second découpe au gré de longues phrases coulantes une fameuse mélodie de Louigny, La Vie en rose, plaçant ainsi ce qui suit sous les auspices d’une tradition hexagonale et d’une manière de générosité que partagent d’ailleurs leurs partenaires. Le Moutin Réunion Quartet se complète effectivement de deux autres représentants émérites de la jeune garde du jazz français, Baptiste Trotignon (piano) et le charismatique Sylvain Beuf (saxophone), l’un comme l’autre décidés à faire de ce disque un moment musical qui, pour maintenir un haut niveau d’exigence, ne s’en départit pour autant jamais de la convivialité qu’on imagine. La parfaite maturité de chacun des quatre instrumentistes n’étant depuis bien longtemps plus sujette à caution, le groupe évite adroitement les pièges de la surenchère virtuose, faisant montre d’une rigueur et d’une maîtrise -tant technique qu’à proprement parler musicale- irréprochables ; le répertoire permet d’apprécier les qualités d’écriture des deux frères, Louis se démarquant d’ailleurs ici avec deux thèmes finaux particulièrement réussis.
En plein milieu, c’est à la source du pornographe du phonographe que se sont abreuvés les quatre hommes pour une triple escapade ludique et rondement menée, Les Copains d’abord et Le Gorille répondant en medley au moins fameux Je m’suis fait tout p’tit… Ailleurs, les penchants volontiers binaires de certains thèmes (Song for a cat, notamment) montrent que les Moutin et leurs partenaires ne rechignent pas à briser les cadres d’une orthodoxie bien trop étroite pour eux et à jouer la carte d’un groove funky on ne peut plus plaisant. Beuf confirme encore, tout particulièrement au soprano, tout le bien qu’on pensait de lui ; Trotignon suit le même chemin et donne, quelques semaines seulement après la sortie de son album en leader, un nouvel aperçu de la variété de ses talents. Sans crier au chef-d’œuvre, force est de reconnaître que cette galette suscite l’enthousiasme. Il y a décidément une french touch aussi du côté du jazz !