Le trio de Morphine a fait les belles heures du rock de traverse des années 90. Avec son line-up qui en surprenait plus d’un (basse deux corde, batterie et double saxo), le groupe avait su poser en quelque six albums (de Good à The Night) les bases évanescentes d’un jazz-rock antinomique. Exit fusion et autres exercices techniques ennuyeux de la réunion des deux genres ; place, au contraire, à une musique vivante et dépouillée, acoustique et tout en contrepoint. Après la mort sur scène de son bassiste et chanteur Mark Sandman en août 99, le groupe a arrêté son existence communautaire pour privilégier les expériences personnelles, tournées principalement vers le jazz, des deux autres membres. L’édition de The Night commémorait ce tragique incident avec un album posthume de haute volée. La discrétion et la sobriété des musiciens aidant, le groupe n’a jamais sombré dans le travers « in memoriam » et l’édition de Bootleg Detroit tient plus du coup de cœur inattendu que de l’opération marketing de fin d’année.
Morphine est un groupe de concert, lieu concentrant tous les désirs de son public étonnamment large. Morphine en live est donc un moment magique, combinaison incongrue d’un lieu, d’un public et d’un groupe, vieille trilogie quasi divine du rock’n’roll. Ici, la prise de son brute de fonte effectuée au milieu de la foule par un spectateur témoigne plus de l’enchantement du public que de la qualité de la prestation. Le son creux dessert en effet un concert panoramique des trois musiciens qui enchaînent les morceaux de bravoure de leur set-list : Come along, Cure for pain et My brain. La voix, surmixée par rapport aux concerts habituels du groupe, envahit l’espace sonore et ne laisse pas respirer les instruments aux arrangements étouffés. Dommage quand on connaît la qualité de composition de ce groupe à la fois minimaliste et diaboliquement touffu de par ses croisements mélodiques. On ne cache donc pas sa déception à l’écoute de cette réédition inattendue et qui laisse Morphine, groupe « presque à la mode » des années 90, orphelin d’un album live de qualité.