Happy birthday signe le retour attendu des Djs / producteurs Gernot Bronsert et Sebastian Szary, rejetons espiègles d’Autechre et de Funkstörung et futurs papas simultanés (d’où le titre – rigolo, non ?), qui gravirent la marche du succès quasi-mainstream avec leur précédent album Hello mom !, suivi dans la foulée d’un DVD au design ultra-léché (Labland). Ces Eric et Ramzy de l’IDM ont conquis la scène techno berlinoise par l’entremise d’Ellen Allien, grande prêtresse du label BPitch dont ils sont devenus à la fois les mascottes et la caution electronica. S’il s’inscrit fièrement à rebours des tendances du moment (nu-rave pour la collection automne-hiver, nu-disco pour celle printemps-été), ce gros gâteau de dix huit morceaux au maximalisme bon pied-bon oeil talonne en revanche le dubstep et anticipe le revival 90’s jusqu’à frayer avec la trance (notamment sur la reprise booty-tecktonic de Scooter emmenée par Otto Von Schirach, le Frank Zappa du breakcore). Si Godspeed démarre sur les chapeaux de roue avec son ragga granulaire, l’album avance ensuite en dents de scie, entre grosse machinerie DSP aux beats crunchy d’une efficacité redoutable (trois grands moments: Black block, Sucker pin pompé sur Mr Oizo ou The Dark side of the sun gargouillé par les marionnettes rappeuses de Puppetmastaz), envolées grandiloquentes dans le sillon de James Holden (The Toccata theme, Déboutonner) et odieuses bouses emo-electro (Edgar, EM ocean, The White flash avec un Thom Yorke aussi saoulant qu’une Björk sous tranxène) en passant par une merveille de dubstep en apesanteur (Let your love grow, porté par le flow suave de Paul St Hilaire). D’un bout à l’autre de l’album, quel que soit le style décliné, l’entrain pulsionnel de Modeselektor pour les basses gargantuesques qui font remuer le bassin est aspiré par un tourbillon electronica, bluffant de bravitude ; seulement voilà, les compères semblent tellement obnubilé par leur conception du tube « electro-qui-déchire-tout » qu’ils en oublient parfois de laisser transparaître leur âme, si ce n’est celle de deux loustics qui se tapent du coude en studio, forçant sur l’emphase mélodique pour mieux nous faire mordre à l’hameçon. Du coup, à force d’esbroufe et de gags fumeux, la musique est parfois frappée du syndrome Tekilatex (trop-plein de crânerie top déconne alors que pour de vrai je me sens vraiment plus) ou Timbaland (trop-plein de featurings étouffe-chrétien, de Maximö Park à Thom Yorke). Et ce Tekiland là, c’est comme la Foire du Trône, trois ch’tis tours de manège et puis s’en va.

Le monde est injuste, vraiment. Pour un groupe qui synthétise les années 2000 à lui tout seul, combien de chevaux de Troie de l’IDM passés à la trappe ? Selon toute logique, on devrait donc s’attendre très prochainement à la résurrection de la scène glitch-hop, ce crossover futile et complètement passé de mode qui garnissait les rayons indie de la fin des années 90, avec ses héros (Kid 606, Prefuse 73, Push Button Objects, Knifehandchop, Phoenecia, Hrvatski…) et ses seconds couteaux (mieux vaut ne pas s’en rappeler), mais qui n’avait jamais franchi le cercle des initiés malgré leur potentiel « pop ». Car Modeselektor ont beau être d’irréprochables concepteurs de hits dancefloor biscornus, ils ne font que reprendre le flambeau d’une musique en tout point similaire une décennie plus tôt, en y ajoutant – brillamment, il faut le reconnaître – les condiments nécessaires au succès : un mastering béton, un humour potache, une imagerie de cartoon kitsch, une ré-actualisation tendance « eurocrunk / dubstep » saupoudrée d’un soupçon de trance bavaroise, et une jovialité pop décomplexée susceptible de toucher le mainstream. Pour le meilleur et pour le pire, ils restent néanmoins les plus aguerris des faussaires à la ronde. Quant à leur nouvelle prestation live, la grand messe « We love Modeselektor » à venir en novembre rendra son verdict, soulevant une interrogation cruciale : le djeun de France AOC est-il prêt à se laisser corrompre par la distorsion digitale et les beats saccadés ?