Tout, ou presque, a commencé en 1997, quand Miss Kittin & The Hacker sortent le maxi Champagne EP sur le label de DJ Hell, International Deejay Gigolo. Ce disque les propulse sous les projecteurs allemands : les DJ’s se l’arrachent et le clip du morceau 1982 passe en boucle sur le MTV national. En France, que dalle, ou presque, ce n’est pas au goût du jour. Pensez-vous, les années 80 n’ont pas encore droit de (re)citer, la hype n’en a que foutre, la deep house est tellement plus chic. Or le duo français, les années 80, il est en plein dedans. Pas vraiment pour faire rire, même si dans le fond on les sent bien se marrer, pas tellement par nostalgie, leur musique semble trop spontanée et peu réfléchie pour cela. Non, années 80 par hasard de naissance, années 80 par culture d’adolescent.
Aujourd’hui, quatre ans ont passé, les années 80 sont redevenues classes, le revival recouvre toutes les modes, jusqu’à saturation. Dire que Miss Kittin & The Hacker sont dans les années 80, c’est risquer de provoquer l’overdose, le désintérêt immédiat, le haussement d’épaule ou les moues les plus affligées. Pas chez eux. Ce premier album est un disque amusant, captivant de spontanéité et de naïveté. Il y a chez les français comme une désinvolture face à la perfection, ou comme un attachement à l’imperfection. Leur musique sent l’arrache, la prise directe, le risque direct. Miss Kittin rédige ses texte en anglais, propos improvisés, immédiats, simples et stupides, énoncés d’une voix naïve, détachée. Et ce premier degré hilarant, attachant avec ses grandes pointes d’accent français devient pourtant imparablement glamour. Il faut alors l’imaginer sur scène, habillée en nurse -rêve d’enfant avant de préférer devenir une star ?-, maîtresse dominatrice pourtant effrayée par cet homme en noir et de marbre, qui derrière elle, se tient aux synthés. Miss Kittin se moque de tout et peut être d’abord d’eux-mêmes (You and us, joli morceau dancefloor, exercice introspectif sur leur métier de stars).
La musique est entraînante, évolue entre electro pop et relents techno, le temps de rappeler que The Hacker, en solo, est un producteur convaincant, qui dessine ici ses autres passions pour l’electro de Kraftwerk ou les grandes raves des débuts des années 90 (qui ressort sur Walk on by avec sa ligne de basse acide et grondante ou sur Sripper et ses airs de vieux hardcore). Le chant de Miss Kittin lui répond. Les morceaux se construisent sur la base classique couplet-refrain. Sur Live on MTV, elle compose, sous fond d’electro-tek, dark et grandiloquente, une ode parodique aux stars du petit écran (« Simone is a bitch… » : Simone est une ancienne présentatrice de MTV). Sur Stock exchange, elle raconte ses aventures boursières sous fond de Moroder. Slow track est un slow romantique un brin tristounet, très Depeche Mode, et l’euphorie gagne avec Walking in the sunshine, ou Ibiza attaquée par les robots… Premier tube, Franck Sinatra et sa ligne de basse electro old school sent le composé en trois minutes. Miss Kittin s’y marre à mimer l’utilisation d’un sampler inexistant sur sa voix, et se moque, une fois de plus, des futilités d’un show biz et d’une hype qui l’aime tant. « Every time with my star friends, we eat caviar and drink champagne. Sniffing in the VIP area… To be famous is so nice, suck my dick, kiss my ass. In Limousine we have sex, every night we make… famous friends (…) Motherfuckers are so nice (…) ». Plus naïf, 1982 impose une mélodie imparable, presque agaçante tellement on ne peut s’en défaire. Simple, un rien triste, cette jolie comptine nostalgique -hommage à l’année 1982- se compose de paroles énonçant des titres « tubes » de l’année. Rappel historique : « As we were in 82 (…) I see your visage fade to gray (…) You’re a robot man machine (…) Blue monday (… ) I just can’t get enough (…) I don’t want a tainted Love (…) »…
En somme, un exercice unique d’electro pop. Rien à voir avec Zoot Wooman ou autres plaisantins. Toujours drôle et entraînant, ce disque touchera aussi par ses jolies mélodies, ses jolies intonations un peu tristes, où l’on croisera Alexander Robotnick, Human League ou Soft Cell (The Hacker a récemment remixé Marc Almond sur Gigolo). Pour résumer, voici les aventures d’une petite française qui rêvait d’être une nurse, qui un jour décida qu’elle serait une star sur MTV, quitte à sniffer de la coke et à baiser dans des limousines. De toute façon, c’est elle la plus forte, même si dans l’ombre il y aura toujours ce partenaire, ce miroir froid et inquiétant, à qui elle dédiera son chant des années 80.