Les cosmologies précolombiennes et quelques mythes qui en découlent donnent à l’album son cadre thématique. Un cadre assez vaste pour englober les cultures indiennes des trois Amériques, des Mayas aux Sioux. Mais, partagé en son milieu par un axe linguistique, comme un antique vinyle en ses deux faces, La Serpiente inmortal épouse, en passant de l’espagnol au français, le trajet personnel de Mirtha Pozzi qui, née en Uruguay, vécut son adolescence au Chili avant de s’installer sur les bords de la Seine. Il est toujours malaisé de « présenter » un fonds ancestral tant éloigné. Pour se hisser à hauteur de mythe, certains misent sur l’ampleur d’orchestrations menacées de grandiloquence, d’autres sur le dépouillement. Mirtha Pozzi a opté pour une solution moyenne : nombreuses percussions rudimentaires, un petit ensemble mélodique, saxophone ou flûtes et accordéon, et à chaque bout, un chanteur et une contrebasse bien enracinée. Le charme de l’ensemble tient peut-être davantage à ses défauts qu’à ses qualités. L’inspiration brasse des univers fort différents où cohabitent rythmes andains, brésiliens ou argentins, et compositions plus ouvertes . Le saxophone se livre à des variations délibérément jazz mais parfois un peu bancales d’une sonorité détimbrée, blanche, brute. Ensemble avec la voix sourde de Legasa, par endroits instable, ils établissent une atmosphère de spectacle de rue ou de cabaret où l’ambition d’une liberté vraie s’accommode de certaines naïvetés. Des recherches de modulations périlleuses, de phrasés compliqués ou de passages narratifs composent avec des couleurs instrumentales qui semblent les contredire par l’aveu d’origines trop connotées. De Tatu-tango, un véritable tango argentin où le chanteur se trouve à l’évidence en terrain familier, à Naissance, qui use de mélismes médiévaux, la chronologie, la géographie sont retournées cul par dessus tête. Ici ou là l’association du saxophone et de l’accordéon, ou de la contrebasse et du bandonéon rappellent le nordeste, alors qu’une place prépondérante est accordée aux percussions de plusieurs continents. Ce sont elles qui, par leur variété, leur « pauvreté » (mâchoires d’âne, carapaces de tortue, graines, pierres volcaniques et les tambours les plus simples), confèrent une couleur déterminante à l’ensemble, en tissant une trame lâche et persistante. Le brouillage des emprunts relève bien sûr d’une stratégie ; il s’agit d’approcher le temps mythique. Mais le syncrétisme auquel on aboutit ici, malgré la volonté de dépassement qu’affichent les pièces les plus libres ne saurait suffire. On est donc promené sur un chemin cahoteux qui de fausses audaces en vraies trouvailles laisse chacun à sa cueillette de moments à son goût.
Xavier Legasa (vcl), Philippe Botta (fl, saxes), Jacques Bolognesi (acc), Jean-Luc Ponthieux (b), Pablo Cueco, Mirtha Pozzi (perc) + Adrien Politi (g), Consuelo Uribe (vcl, cuatro).