Midget ! est un duo fondé en 2009 par Claire Vailler et Mocke. On connaissait Mocke comme cofondateur du groupe pop parisien Holden, ou pour ses arcs électriques tendus entre Sing-Sing et Eloïse Decazes au sein de Arlt, ou encore jouant aux côtés de Kelly de Martino, Silvain Vanot ou Dogbowl. Le voilà faisant le contrepoint guitaristique à la voix délicate de Claire Vailler, rencontrée lors d’un concert de Arlt, où elle interprétait seule avec sa guitare des chansons composées par elle sur des poèmes d’Emily Dickinson et W.B. Yeats. Chanté en français et en anglais, accompagné de petites potions électroniques par Oomiaq (du groupe Milenka), leur premier album sous le nom de Midget !, de poésie marine et mélodies supérieures, est une des plus belles choses arrivées cette année.
Arpèges de guitares aquatiques, bulles électroniques, chœurs flottants, refrains s’envolant, tout Lumière d’en bas oscille tel le bouchon du pêcheur entre surface et profondeur, enfance de l’art (liberté) et art de l’enfance (comptines), et semble raconter l’histoire de ces habitants des fonds marins obligés de rejoindre la terre ferme et le feu du grand air. Claire Vailler sonne ainsi sirène, douce voix fragilisée par l’oxygène, hantée comme le fut celle de Trish Keenan de Broadcast, ou au funambule accent charmant, un peu Claudine Longet, un peu Astrud Gilberto. Remontant depuis les abysses, eau profonde, chant des baleines et sonar de dauphins, on croit entendre le début Low Water évoquer l’impossible rencontre entre l’eau et le feu, ou les « antipathes », ces habitants des antipodes (du latin antipodus : « dont les pieds sont situés à l’opposé »), imaginés par Alice et Lewis Carroll. Plus loin, The Scottish Way sera aussi une chanson funambule, entre haut et bas, intérieur et extérieur, comme Edimbourg est une ville schizophrène, partagée entre ancien et nouveau. Plus loin encore, Don’t Ever évoque l’impossible conciliation, chanson de précaution envoyée par la sirène à un prétendant éconduit, qui ferait mieux de s’acheter un cœur (« Buy yourself a earth, for what it’s worth »), chanson qui se finit en valse, rengaine, reprise et tournerie : « Things remains the same, cast in the sand ».
Car la rencontre a bel et bien lieu, picking savants de guitares et chant comme un flux et un reflux s’enlacent, s’entrelacent, dansent ou avancent du même pas sur As in a Ball, ritournelle aux chœurs rêveurs , dont les paysages rappellent ceux fantastiques de Pram ou de Broadcast, encore, hantologie liquide, peuplée de sorcières aux longs cheveux flottant et de fantômes errants dans de profonds labyrinthes, limbes ou purgatoire. L’en bas du titre évoque ainsi l’eau matricielle, mais aussi le monde des rêves, sur ce Sleepwalker où guitares sèche et mouillées se répondent de chaque côté de l’écume, cloches et gongs réverbérés ouvrant la porte des songes.
Les cordes de la guitare finissent par hameçonner le poisson, et sur Les Mailles, la sirène est prise dans les filets de la vie, sortie du bain trop tôt, ramenée à la terre ferme, « du sable entre les dents », mélancolique (humeur saturnienne), nostalgique du sentiment océanique, début et fin de tout. « C’est qu’il fallait s’arracher à la mémoire des temples de sable » (Le Vert et le gris), chante-t-elle tandis qu’un orgue file le long de la superbe mélodie. La voilà passée de l’autre côté, à la surface, là « où les arbres touchent le ciel » et c’est rien moins que le féminin et le masculin, élémentaires, qui se rejoignent et se confrontent, à ciel ouvert.
Car oublié le bain amniotique, c’est la guerre en surface : « têtes de fer », « corps sans voix », « des centaines de formes restent sur le carreau », « la guerre est dans l’oubli ». On se retrouve sur le champ de bataille, au milieu du bruit blanc (White Noise et Delia Derbyshire habitent Cet air, il va nous manquer, comme une chanson de Noël triste) et l’on tombe dans leur rêve comme Stendhal s’évanouissait dans les tableaux des maîtres anciens (It’s a Work of Art). Chef-d’œuvre.