Belles gueules, belle bio, belle pochette, bel album. On passera rapidement sur les trois premiers points : elle (Mi la Finlandaise) faisant un peu de mannequinat à Paris, lui (L’Au le Français) musicien et proche d’un certain Devendra B. vivant dans le plus parfait anonymat à Paris ; le coup de foudre, la retraite dans une cabane au milieu de nulle part en Finlande, l’écriture d’un album en autarcie. A partir de ces bouts de vie négligemment narrés (mais en toute vraisemblance minutieusement choisis) dans le dossier de presse, deux hypothèses simples qui viennent combler deux silences : l’une sur le supposé rôle du passeur Banhart dans la signature dudit album sur le label de Michael Gira, l’autre sur la très vraisemblable forêt finlandaise où a été pris en photo le cabanon ornant la pochette.
Reste un album à l’écriture impeccable et boisée, ambiguë à souhait, donc forcément un ton au-dessus de tout le monde, comme à peu près tout ce que Young God Records a jusqu’ici publié sur avis de sa légende de patron. Car des Swans à Larsen, de Dan Matz à Devendra Banhart, de Angels of Light à Akron / Family (ici présents sur le disque), il y a bien un fil rouge, une signature sonore, comme l’appartenance à une même tradition musicale dont on aurait perdu la trace. A moins que les disques passés entre les mains de Gira ne soient devenus à eux-mêmes leur propre tradition en même temps que leur propre modernité.
Bien que présenté comme un album de refuzniks, un disque placé sous les auspices des bois de Finlande et du folk, il n’est guère possible de le raccrocher à la foisonnante communauté finnoise de subterranean music, bastion de productions home-made improv / noise / psych folk. Sinon par l’étrangeté de leurs noms, Mi and L’au sont loin des Lau Nau, Es, Anaksimandros, Kuupuu, Islaja, Avarus et autres imprononçables Kemialliset Ystävät. Et c’est bien plus sûrement du côté de projets folk « urbains » que l’on décèlera quelques accointances : ESPers, Josephine Foster, Marissa Nadler, Nick Castro, voire Mazzy Star ou Elysian Fields (pour les duos mixtes à la limite du susurrement mais aussi les échos de Hope Sandoval ou de Jennifer Charles qu’abrite la voix de Mi).
Ici donc, point de forgerons martelant leurs instruments pour entrer en transe, mais d’élégants luthiers habillant de blanc et de silences leurs histoires malades et murmurées. Car il faut plusieurs écoutes pour dissiper cette impression première de simplicité, cette saveur légèrement sucrée que peuvent laisser de vieux Mojave 3 (une musique belle et pépère qui fond sous la langue) ; plusieurs écoutes pour comprendre d’où vient cette sensation et sitôt la contredire par la découverte de détails jusqu’alors ignorés, comme autant de grains de sable venant gripper un folk faussement lisse, goûtant aux staccatos légers et aux arpèges à la Steve Tilston (I’ve been watching you). La musique de Mi and L’au ventile en effet à un rythme de sénateur un maximum ses formes, jusqu’à leur donner de la transparence (on croit voir au travers certains morceaux comme sur une radiographie). Cette impression d’espace est pourtant curieusement anéantie au terme d’écoutes qui finissent par révéler une discrète mais pléthorique présence d’instruments. Et plutôt qu’à une diète musicale, l’on assiste finalement à une bombance d’arrangements en sourdine (arrangements également avec l’orthodoxie folk d’un Older par exemple et ses accents vernaculaires). Bulles d’eau par-ci (Study), incrustations de voix sous-mixées par-là, souffle d’une prise de son et craquements de parquet (Boxer), raclement de gorge, claquements et frottements de doigts (Andy), brouhaha sous un tapis de cordes cinématographiques (A Word in your belly) : à croire que des micros se sont baladés dans le studio à la distance d’un baiser de chaque musicien pour composer ensuite un mille-feuilles d’événements sonores venant se glisser dans les interstices des structures des morceaux. Un bien bel album disais-je.