Ginette Neveu, Dinu Lipatti, Emmanuel Feuermann, Guido Cantelli. Quatre destins tragiques. Morts avant de vieillir. Pourquoi eux ? Ils avaient tout compris avant tout le monde. Neveu et Cantelli sont morts dans un accident d’avion. Filons la métaphore : arrêtés en plein vol… Cantelli était italien. Né en 1920, disparu en 1956. Il venait de diriger le Requiem de Verdi à Londres. Ses enregistrements sont peu nombreux. Alors, quand sort un inédit, forcément, on se jette dessus. Cette symphonie de Mendelssohn lui va si bien : l’Italienne. Musique au sang chaud que Toscanini dirigeait à une allure vertigineuse. Cantelli n’est pas si loin de son maître mais, malgré sa jeunesse, sait rester plus sage. Notamment dans les mouvements extrêmes, il parvient à contenir l’explosion. Tout se passe sous les jupes des filles…
Par ailleurs dans les deux mouvements centraux, il joue avec la simplicité. Des bois aussi clairs que possible, des cordes denses et chaleureuses. On est bien loin du préfabriqué des orchestres allemands. Certes Klemperer a laissé une version magistrale mais c’était à la tête de l’Orchestre philharmonique de Londres, formation anglaise s’il en est, comme le Philharmonia Orchestra. Cantelli le magicien respectueux. La transparence et la dynamique de ses interprétations (écoutez aussi la 4e symphonie de Schumann parue chez EMI) provoquent l’urgence : musique imprévisible et évolutive. Il ne maîtrise pas parfaitement toutes les lignes (la prise de son mono dans Mendelssohn est tout à fait correcte mais écrase parfois un peu l’espace) comme Klemperer. Il ne s’agit pas de la version définitive mais d’une des versions les plus pures de la discographie, juste équilibre entre Toscanini et Klemperer pour parler des enregistrements contemporains.
La 3e symphonie de Brahms, enregistrée en 1955, n’est pas une nouveauté. Elle a déjà été éditée chez EMI (avec Schumann en complément) il y a quelques années. C’est d’ailleurs une des interprétations de Cantelli les plus connues. Que rajouter de plus ? Parlons du 3e mouvement. Tout le monde le connaît. Gainsbourg l’a utilisé dans Baby alone in Babylone. Cantelli est loin au-dessus. Est-ce un chant du cygne ? La musique est triste, hélas ! et je pleure… Cantelli évite tous les écueils. Il est facile de s’y complaire. Ecoutez Karajan et son gros son, Bernstein et son pathos envahissant. Il y a ici quelque chose d’éternellement jeune ; de la franchise avant tout. La vigueur de son 4e mouvement est un régal. Droit et fier, Cantelli est intransigeant et honnête. Là aussi on n’y trouve pas la profondeur toute germanique et historique qu’y mettait Fürtwangler. Mais que tout cela est beau… ce sont toujours les meilleurs qui partent les premiers.