Mendelson est bien l’un des rares groupes français, chantant en français, qui intrigue, convainc et finalement émeut. Peut-être parce que les textes de Pascal Bouaziz sont méchamment justes et sans équivalent ici-bas. Peut-être parce qu’on aime beaucoup sa voix, son sens de la dérision, son humour détaché, son phrasé. Peut-être parce que les histoires de Mendelson trouvent une juste résonance dans leur musique.
En tout cas, nous étions loin d’être les seuls ce soir-là à nous déplacer pour entendre ces tranches de vie live : une petite foule clairsemée prend ses aises dans le sous-sol du pittoresque Lavoir Moderne Parisien, devant la scène basse où s’entassent les deux guitaristes, le batteur, le contrebassiste et les deux saxophonistes (dont Quentin Rollet). Pascal Bouaziz, de sa voix grave et douce, prévient d’emblée que la soirée sera « bonne », qu’on a de la chance d’être là pour ce qui sera sans nul doute « l’un des meilleurs concerts de Mendelson ». Au programme : deux sets intitulés Set n°1 et Set n°2, et « une pause qu’on appellera « la pause ». Bouaziz est aussi drôlement sérieux lorsqu’il s’adresse à son public que tristement sarcastique dans ses chansons. Quelques échantillons : « On va reprendre un vieux morceau d’un groupe qui s’appelle M’a’ndelson, pas très connu, et qui mériterait bien de l’être. Alors on va les aider. Et comme par un heureux hasard, leur disque se trouve à l’étage sur la table, à côté justement de notre deuxième album ». Ou encore : « Ce soir joue avec nous le contrebassiste d’origine du groupe. Mais si vous voulez comparer, on joue à la Guinguette Pirate le 18 mars avec un autre contrebassiste. Et il est meilleur que lui, enfin… je dis ça je dis rien.«
Les deux sets permettront au groupe de jouer la quasi intégralité de Quelque part, quelques morceaux de L’Avenir est devant et trois inédits. D’abord, la voix de Pascal Bouaziz est bien mise en avant : ses textes sont donc parfaitement audibles. Ensuite, les morceaux se soumettent plaisamment à de légères modifications, notamment avec le jeu free des deux saxophonistes qui rivalisent d’attaques nerveuses et de bruits stridents et assurent souvent les fondus entre les morceaux. On attend avec impatience le morceau Quelque part, mais la contrebasse est malheureusement couverte par les autres instruments. Pas grave, le concert est émaillé de pics de tension : Katherine Hepburn hypnotise autant que sur l’album (« Eh, tout ça c’est pas vrai, c’est juste une chanson », précise pourtant avant de jouer Bouaziz). Pinto fait froid dans le dos, la simplicité de Par chez nous ne résiste pas à la gravité des mots.
Pendant près de deux heures, c’est une tripotée de visages anonymes, oubliés, imaginés, croisés, qui défilent : le grand-père de la maison de retraite, la vieille du café-tabac, le copain de la cité Youri Gagarine, Messieurs Pinto et Cebolo, Sarah l’Irlandaise, Maya la Jamaïcaine, ce mystérieux « tu », compagnon silencieux du narrateur. Ces gens errent dans des lieux repérés : des parkings, des barres d’H.L.M., des autoroutes, des terrains vagues, des usines. Dans ces endroits, s’épuisent des vies de chien, des adolescences tristounettes, des histoires d’amours contrariées, et fleurissent les emmerdes. Concert réussi : cet univers urbain, peuplé de gens ordinaires et de souvenirs charriés, parvient à prendre vie sur scène et à hanter les esprits pour un bon moment.
Parmi les trois inédits, le drolatique Bienvenue à Lacanau où le narrateur retrouve une fille morte dans sa salle de bains, des photos de surfeur dans la salle à manger, tandis que le voisin s’y met et tente de dissimuler la disparition de la fille (« C’est ça, voisin, c’est ça »).
Le concert s’achève sur une reprise de Kathleen de « Tanze-vent-sante » ou Townes Van Zandt « comme disent les snobs ». Un morceau déjà repris par un groupe que « je déteste » et qui « je suis sûr, le joue comme des sagouins » (comprendre les Tindersticks). On préfère tout de même l’accent authentiquement anglais de Stuart Staples à celui de Pascal Bouaziz. Mendelson doit continuer de nous parler en français.