Matt Haimovitz s’est imposé dès 1992 avec son premier récital pour violoncelle seul, intelligent et exigeant, qui regroupait des œuvres de Britten, Reger (déjà), Henze et Berio. Puis il y eut le 2e volume avec Hindemith, Britten (encore), Davidovsky, Sessions, Perle… Bref, on ne pouvait que louer la pertinence et le parti pris du violoncelliste. Un concert au Louvre dans des Sonates de Beethoven nous avait cependant fait entrevoir les limites musicales de Haimovitz. Du talent peut-être mais un manque absolu de retenue, de finesse même.
Voilà donc son nouvel enregistrement ou plus exactement son dernier album Portes ouvertes. Outre une pochette absolue ignoble (pourquoi est-il assis dans ce pré avec son violoncelle ?) et le fait que l’enregistrement date de 1996, Haimovitz a continué son exploration du répertoire du violoncelle au XXe siècle, particulièrement riche. Néanmoins, ce disque est moins original que les précédents en tant que tous les noms convoqués sont des grands du XXe siècle, de Debussy à Dutilleux. Par ailleurs, comme à son habitude, Haimovitz se laisse porter par son jeu brillant et flamboyant, libre et virtuose. Est-ce vraiment suffisant ?
La 3e suite de Reger n’a pas la même audience que la Sonate de Kodaly composée à la même époque. Certes elle est moins inventive. Il ne faut pas cependant négliger l’aspect référentiel et quasi « humoristique » du scherzo comme des variations de l’andante. Haimovitz, qui ne fait pas dans la légèreté, donne à cette musique une gouaille évidente. Il doit juste être possible de faire la même chose avec un peu plus de profondeur sonore.
Les 3 Strophes de Dutilleux, composées sur l’initiative de Rostropovitch à l’occasion du 70e anniversaire du musicien et mécène qu’était Sacher, sont des perles rares. L’accord particulier (référence à Kodaly) de l’instrument entraîne l’auditeur dans un univers mystérieux, poétique et nocturnal qu’Haimovitz s’attache à rendre en dramatisant le discours. On aimerait simplement qu’il prenne le temps de laisser vivre la musique. Le Tema de Britten est un matériau mélodique exemplaire où Haimovitz se fait plaisir. Les 3 Petites Pièces de Webern, aphorismes, pure idée musicale ou encore haï-kaï japonais selon Boulez, demandent retenue et expressionnisme. Haimovitz parvient à donner sens à l’instant musical non sans la sobre complicité de Cassard.
On ne peut pas en dire autant de la Sonate de Debussy. Elle souffre d’une surenchère musicale qui la mène bien loin de l’hommage au XVIIIe siècle voulu par Debussy. C’est le véritable naufrage de ce disque. On est consterné devant aussi peu d’à-propos dans une musique qui est l’une des plus fines et denses de l’histoire. L’humour de Jean-Marie Bigard n’est pas vraiment la recette adéquate. Desproges à la limite.
Enfin, la Sonate de Britten offre un dialogue virtuose et lyrique entre les deux instruments. S’ils ne font pas dans la demi-mesure, on ne peut nier qu’ils parviennent à dégager une puissance émotive. En définitive, voici un programme joué avec excès et panache qui manque de simplicité, de grâce surtout.
* Max Reger : Suite pour violoncelle seul en la mineur op.131c n°3 ; Anton Webern : Trois Petites Pièces pour violoncelle et piano ; Henri Dutilleux : 3 Strophes sur le nom de Sacher pour violoncelle solo ; Claude Debussy : Sonate pour violoncelle et piano ; Benjamin Britten : Tema « Sacher » pour violoncelle seul et Sonate en do pour violoncelle et piano op. 65.