Il semble que le propre des peuples insulaires soit de toujours vouloir reconstruire le monde. Le chaos les guetterait à chaque instant, aidé en cela par le poids de leur histoire, pas toujours aussi simple. Toujours est-il qu’à la fin de ce millénaire, cette angoisse a donné naissance à un bel idéal de métissage, bien qu’il soit menacé à chaque instant par le conformisme ambiant. Il s’agit de cette fameuse créolité inventée par Glissant, Chamoiseau, et vécue par bien d’autres, qui déborde aujourd’hui le monde de la littérature pour atteindre les autres formes d’expression artistique. Une tendance que confirme la démarche entamée par les membres de Matébis.
Créolité de la langue d’abord. Les artistes présents sur cet album viennent des quatre points cardinaux de l’espace créole, des Antilles à l’Océan Indien. Créolité des genres ensuite. Biguine, salsa et jazz pour n’en citer que trois, les rythmes se mélangent sous la bénédiction de Jean-Paul Soïme, ancien violon du groupe martiniquais Malavoi et de Jean-Luc Pino, second violon de cette formation qui prétend vouloir faire « l’école buissonnière » pour fuir le déjà-vu. C’est le sens même du mot Matébis en créole : un enjeu formidable, lorsqu’on sait que certaines figures mythiques de la scène afro-antillaise ont préféré baisser la garde face aux jeunes générations d’artistes, souvent biberonnées à la pop facile.
A moitié nostalgique, Bibi Louison, aux claviers, conduit cet ensemble, composé d’une dizaine d’instrumentistes choisis parmi les meilleurs, sur les rives du passé pour remuer des mélodies pleines d’entrain. Musique optimiste qui invite à la danse, Matébis plane aussi sur le drame de la mémoire écrasée. La lecture inhabituelle sur un projet également dansant d’un texte d’Aimé Césaire vient en effet rappeler certaines tragédies d’hier. Un album digne, comme on dit.