Chicago symphony orchestra, dir. Pierre Boulez.
Grande année Mahler. Après la somptueuse Cinquième de Chailly et du Concertgebouw (décidément le plus grand orchestre mahlérien de tous les temps), chez Decca, et la très belle Quatrième de Rattle (EMI), au tour de Boulez de nous livrer une Neuvième moderne mais terriblement passionnée -et passionnante-, supérieurement pensée, certes, mais à mille lieux de l’intellectualisme bête et méchant qui colle si souvent à la baguette du Français. Tout de suite, une mise au point (qui explique la note) : ce Mahler-là, aussi extraordinaire soit-il, ne surpasse pas les versions hallucinées et visionnaires de Bernstein, surtout (à Berlin, un choc -DG), de Barbirolli (EMI) ou, dans une moindre mesure, de Giulini (DG), suivant néanmoins la même voie, celle qui mène à Webern.
Un Mahler, donc, très « dernier style », selon le mot d’Adorno, où l’élan de vie et la pulsion de mort sans cesse s’entre-déchirent dans une violence et une sauvagerie frénétiques, jusqu’à ce Finale d’apaisement, de réconciliation -que Boulez aborde d’ailleurs sur un tempo étonnamment rapide, comme par excès d’humilité, pour en finir au plus vite de cette expérience littéralement traumatisante. Ce n’est rien de dire que Chicago déploie une palette de couleurs d’un raffinement inoui, une débauche de sons prodigieuse, spécialement dans l’ironie grinçante du Scherzo et du Rondo–Burleske. Plus qu’à Vienne (où il a donné une Cinquième certainement surcotée, a fortiori depuis Chailly), plus encore qu’à Cleveland (dont la Septième n’égale pas, parmi les versions récentes, celle d’Abbado et Chicago, encore…), Boulez délivre ici une leçon de style mahlérien magistrale, dirigeant tous les pupitres de la main du grand maître qu’il est. On reviendra, éternellement, à Bernstein, mais voilà un enregistrement dont aucun intime de Mahler ne saurait se passer.
Stéphane Grant