Vous placez distraitement le nouvel album de Magic Malik dans votre platine et appuyez sur « Play » en pensant à autre chose : pendant que les lents accords plaqués par un piano suave et le tempo discrètement marqué par une cymbale cristalline ouvrent le bal, vous vous souvenez des précédents projets de l’excellent flûtiste français, des innombrables bons coups auxquels il participé (avec son compère Julien Lourau, notamment) et de l’impression tenace et balancée que vous avait laissé sa dernière double galette, dont vous avez par ailleurs oublié le titre (normal : elle s’appelait 00-237 XP-I). La flûte entre en piste, énonçant doucement une mélodie qui vous dit vaguement quelque chose. Au bout de trente secondes, vous vous réveillez et vous demandez ce que peut bien être ce morceau : vous êtes persuadé de le connaître, mais il ne correspond à aucun des standards de jazz de votre répertoire mental. Vous retournez le boîtier et découvrez pourquoi : ce n’est pas un standard, c’est Ville de lumière, le tube eighties de Gold, le célèbre groupe qui ne souriait jamais. Amusé, vous parcourez la play-list : non sans étonnement, vous constatez alors que l’imprévisible Malik Mezzadri a bâti tout son nouvel album sur le prétexte de chansons (dont certaines carrément commerciales), avec dans l’idée de les détourner astucieusement de leur cours pour leur faire épouser les sinuosités de son propre imaginaire musical.
Au programme de ce Song’s book parfaitement inattendu : Gainsbourg (Je t’aime, moi non plus), Souchon (Quand j’srais K.O.), Polnareff (Goodbye Marilou) mais aussi, attention les yeux, l’inoubliable Dingler Cookie (Femme libérée) et les cultissimes 2B3 (Partir un jour). Autant dire qu’il y a plusieurs façons d’écouter le disque : la première fois, on se marre en pensant que Béatrice Ardisson devrait y jeter une oreille pour la bande-son de Paris dernière ; la deuxième, on s’étonne en se disant que même si la reprise de chansons est une figure classique du jazz d’aujourd’hui (après tout, les standards de Broadway sont d’abord des ritournelles populaires), Mezzadri est tout de même sacrément culotté d’emprunter son tube à un boys-band ; la troisième, on se dit que le texte n’a finalement pas tant d’importance que ça, du moment que l’interprétation vaut le coup, et que Magic Malik et son Orchestra remportent haut la main leur pari. Avec une équipe rôdée par deux ans de tournée aux quatre coins du globe (Denis Guivarc’h, Or Solomon, Maxime Zampieri, Sarah Murcia), il transforme des scies simplettes mais bien tournées en pistes de décollage pour une musique chatoyante nourrie à toutes les mamelles du vocabulaire jazzy (ballade sombre, course poursuite virtuose aux airs de fanfare shootée à l’acide, tentations actuelles). Les invités Nelson Veras (guitare) et Dj Rebel (platines) mettent la touche finale à une galette surprenante et décalée, juste comme il faut, à passer en soirée pour étonner son monde ou à écouter sérieusement pour s’étonner soi-même.