Pour qui suit un minimum l’actualité de la dance londonienne, tout dans cet album sonnera familier ou presque : les trilles de toms de 808 à contretemps, les infrabasses étouffées sous les kicks errants dans les double-croches, les nappes rave épatées et les collages cubistes de snippets de vocaux soul, nous sommes bien dans un énième disque tombé du fameux hardcore continuum londonien qui sévit de manière particulièrement sauvage et vivace depuis un an ou deux dans les caves de la capitale britannique. Sauf que Travis Stewart, alias Machinedrum, est américain : comme Joe Nice, FaltyDL ou Starkey, il fait partie de ces étranges acteurs de la scène post dubstep qui l’animent à distance sans (presque) rien changer, et depuis des réalités urbaines qui n’ont rien à voir… pendant que de l’autre côté de l’Atlantique, les gamins du South London trouvent désormais leur inspiration dans la house new-yorkaise des années 90 ou la fameuse juke de Chicago. Mondialisation, quand tu nous tiens.
Remixé très tôt par Bok Bok de Night Slugs, signé sur Lucky Me ou sur le très chouette Hotflush Recordings de Scuba pour son autre projet Sepalcure, Machinedrum benéficie ainsi d’une enviable street credibility malgré ses origines et un lourd passif abstract hip-hop / IDM sur feu Merck, cette oasis electronica US qui clignait de l’œil à Skam et Rephlex depuis Miami pendant les années 2000. Mais si ses premières percées en territoire post-garage sur le très hip-hop et très vocal Want to 1 2? laissaient largement circonspect, une première écoute distraite du ravissant Room(s) suffit à expliquer l’affaire : le garçon a fait du chemin. Enregistrés à la va-vite entre deux avions pour capturer « l’impulsion du moment », la plupart de ses morceaux expirent, au-delà du trivial du matériau stylistique évoqué plus haut, une verve formelle, onirique et mélodique qui l’extirpe illico du tout venant des albums dubstep nuls (surtout ceux qui sortent sur Planet-Mu, en fait). Là où le tout juste mignon Lone (808 State multiplié par Boards of Canada) ou le souvent médiocre FaltyDL, par exemple, s’embourbent quasi systématiquement dans le concassage stérile de pastiches en pagaille, Machinedrum semble sublimer, s’arroger, sinon dépasser des emprunts ailleurs aptes à écraser les bedroom producers les plus véloces. Ainsi, quand il accélère les breakbeats sur U don’t survive, quand il se complait dans la stase ou qu’il greffe une inévitable sensibilité indie (il chante, apparemment) sur une redite vaporeuse du Move your body de Marshall Jefferson (le séduisant Come1), on hume moins le high-concept chafouin qu’un vrai désir d’invention (ce truc étrange qu’on appelle l’inspiration), comme s’il inventait effectivement la poudre sous nos oreilles ébahies. Forcément pas un chef-d’oeuvre, Room(s) est au moins un très joli disque auquel on a envie de revenir souvent. On sait tous comment c’est rare, on s’engoue, on applaudit encore une fois.