En marge des champs electropoppy et analogiques qui font sa marque de fabrique, le label parisien Gooom nous donne rendez-vous une nouvelle fois aux frontières du rock atmosphérique et de la musique cinématographique avec son groupe chouchou : M83. Notons d’ailleurs en parlant de chouchou que la formation d’origine a quelque peu changé. Anthony Gonzalez demeure désormais seul aux commandes, épaulé sur quelques titres par Antoine Gallet, qui a par ailleurs mixé l’album. On citera également l’apport du grand frère Yann Gonzalez, ex chroniqueur ciné chez Chronic’art, qui a ici servi de stylo à son frangin sur six tranches de ce troisième opus. Before the dawn heals us s’inscrit dans la continuité du chemin emprunté par la formation d’origine qui accueillait Nicolas Fromageau en son sein. Pourtant, on se rend compte dès la première écoute que Gonzalez a foutu ses tripes dans ce disque solide, voulant s’éloigner à grand pas du deuxième album Dead cities, red seas & lost ghosts. L’ un des gros reproches que l’on peut faire à cet album est de vouloir sonner comme un grand groupe de rock avec un coeur dans le cerveau et un cerveau dans les nuages. Mais si certaines de ses productions se jettent un peu trop dans des sphères au format « rock classique » rébarbatif, l’opus devient néanmoins réellement excitant lorsqu’il lorgne du côté du vintage et de la sueur des cordes déformées par le home-studio.
On comprend bien sûr l’inclinaison de Gonzalez à vouloir tituber avec les grands (God Speed You Black Emperor ou Kevin Shields, pour ne citer qu’eux…). Hélas, il y arrive rarement, même si c’est plutôt réussi sur certains passages. Comme sur la sixième comptine savamment intitulée * . Ce titre placé en plein milieu de l’album est une éblouissante fiction sonore, mélodieuse et spatialisée, à mi-chemin entre flânerie mélancolique et illustration naturaliste aux nerfs tendus. Les écarts sonores et les faux silences emportent l’encéphale aussi bien que la dualité des textures virtuelles et les timbres de guitares organiques qui montent en spirale. D’un côté, les cordes paraissent suaves et riches, brodant des aubades aigre-douces ou des harmonies étincelantes, qui occupent l’espace d’ondes intrigantes. De l’autre, les nappes aériennes et les drones de synthés vagabonds dilatent le champ esthétique de l’album, embrassant parfois le spectre de l’adolescence avec un naturel enthousiasmant (Teen angst).
Les paroles souvent déprimantes de cet album intriguant viennent coller aux réverbérations paradisiaques, même ça devient parfois limite imbuvable. La dépression guette le jeune Gonzalez qui se jette avec appétit sur des bruissements environnementaux et des crépitements post-digitaux, sortes d’antidépresseurs au format trop carré. Mais le plus étonnant est de voir condensée en cette oeuvre, et sous une forme aussi intemporelle que léchée, des références qui dépassent styles et époques : esprit des 70’s (Tangerine Dream qui embrasse Pink Floyd), emprunts d’electronica minimaliste et de synthés analogiques raturés, voire léger accents post-rock. Au final, le coeur solitaire de M83 émet des battements inégaux, avec ses courbes fluides et apaisantes (les montées de Can’t stop). Paradoxalement, M83 accouche d’un opus aux facettes hétérogènes. Car Before the dawn heals us fonctionne beaucoup plus comme une bande originale de film (une qualité qui prévaut chez ce groupe depuis le premier album) que comme un album dont on extrairait seulement quatre ou cinq portions. Eloigné sur une planète esseulée (Safe et ses vocables déprimés mais séduisants), le son de M83 pourrait se résumer à une vulgaire synthèse musicale mêlant les diverses influences qu’il subit (les éternels Boards Of Canada et autres Mogwaï, par exemple). Reste que l’ensemble indivisible que constitue l’album infirme largement cette idée. Car la variété des approches est telle que les structures des morceaux -la plupart du temps bizarrement improvisée, comme sur Let men curn stars– se font échos, se déplaçant via un écran musical allégorique, véritable document visuel (Slight night shivem ou la voix féminine perdue dans le noir). On évoquait Klaus Kinski à propos du premier album : on pourrait également s’amuser à trouver ici les acteurs de ce disque mystique, qui ravira en premier lieu les fanatiques de post-rock éthéré. De cette possible fascination pour les climats cinématographiques naît une musique empruntant ses phrases à la musique environnementale, mais aussi à l’observation électroacoustique. Si certains morceaux pêchent par leur côté amphigourique et nonchalant, ils sont rapidement balayés par des fractions numériques garnies de cordes, des actes de détournement de voix à base de drones mirifiques et de synthés piquants.
D’apparence monochrome, ce disque peut réserver de bonnes surprises à ceux qui sauront apprivoiser son humeur maussade et dépressive, comme ses formes quelque peu anguleuses. Des images d’angoisse jaillissent ici toutes les trois minutes, tandis que les sons mutants forment un continuum plaintif. Les guitares achèvent souvent le travail en plaquant des contours névrotiques et des frappes digitales d’inspiration purement rock (le très bon mais très mal nommé A Guitar and a heart). Bref, entre rock abstrait tellurique et electronica climatique, l’unique membre de M83 n’a pas tranché. Tant mieux ?