L’étonnant Luke Haines reprend son bâton (de pèlerin ?) pour nous asséner l’histoire terrible d’un terroriste magnifique. Après l’expérience Baader Meinhof (sur la Fraction Armée Rouge de l’Allemagne de la fin des 70’s), Luke Haines change de formule et de continent mais garde la même époque et le même sujet: Christie Malry’s own double entry. OST est l’histoire d’un homme simple et déterminé qui embrasse la carrière de terroriste comme on fait un choix esthétique ou artistique, comme on entre en religion. On devine que ce héros négatif de la classe ouvrière, dont le film Christie Malry’s own double entry. OST retrace le parcours, ne pouvait que séduire Luke Haines, le renvoyant à ses propres interrogations… Mais attention! N’allez pas chercher dans les manuels d’Histoire la trace de ce « camarade vitamine », Christie Malry n’a existé que dans la nouvelle éponyme que B.S. Johnson a écrit en 1970. Pour information, cet auteur-culte (également connu pour ses activités de poète, de cinéaste d’avant-garde ou de comédien) bénéficie actuellement d’un retour de notoriété : une biographie sort d’ailleurs à la fin de l’année. Dommage qu’il se soit donné la mort en 1973.
Mais revenons-en à cette galette : première exercice de BO pour Luke Haines et première tentative en solo après avoir multiplié les identités en bon schizophrène (tour à tour The Auteurs, Black Box Recorder et Baader Meinhof). Là où les B.O. regroupent souvent quelques instrumentaux de peu d’intérêt une fois retirés du contexte filmique, Christie Malry’s own double entry. OST fait figure d’album à part entière : ni strict B.O., ni recueil de chansons, Christie Malry’s own double entry. OST est une collection de titres tout à fait dans la lignée des précédentes incarnations de Luke Haines. On y retrouve des thématiques qui appartiennent autant au monde du terroriste imaginaire qu’à celui fantasmatique de Luke Haines : il y a bien sûr la classe ouvrière, dans le caustique How to hate the working class, dont la trame acoustique est enrobée d’une voix féminine et étrange que l’on pourrait attribuer à Julee Cruise. C’est d’ailleurs aux sonorités singulières dont s’entoure David Lynch dans ses films que l’on songe à l’écoute de cet album. Le surprenant In the bleak midwinter (avec le Winchester Cathedral Choir !) prend des tournures de prière inquiétante pour dire que « l’art va sauver le monde ».
Bien qu’œuvre de commande, Christie Malry’s own double entry. OST n’est pas exempt des marottes que l’on se plait à retrouver dans les textes de Haines: « Heavy metal!/Swinging blue jeans!/Disco maniacs! » (sur Discomaniax) : tous les Disco freaks et les Heavy metal kids sont invoqués et viennent nous parler de leur teenage attitude trash. Sur un plan musical, Luke Haines fait toujours preuve de ce sens des arrangements unique, entre cruauté et emphase, qui sont devenus comme une seconde peau encollée aux démons de son bestiaire. Pourtant, il parvient à surprendre encore son monde lors d’une sorte de ragga électrique assez martial (le glaçant I love the sound of breaking glass) ou d’un Alchemy dont les flûtes envoûtées semblent venir des Masters of Jajouka, accompagnées en chemin par des orgues furieusement « série B ». Est-on arrivés sur l’île du Docteur Moreau ?
L’album s’achève sur le très enlevé Essex mania, qui vient comme en écho au How I learned to love the bootboys des Auteurs, et prend clairement l’allure des salves technoïdes de certains titres des The Fall récents. Luke Haines pourrait très bien assurer la relève de l’affreux Mark-E-Smith tant, jusque sur la pochette (très réussie), il semble se nourrir de la même bile inspirée et régénératrice. Christie Malry’s own double entry. OST est un grand disque, est-ce que se sera un grand film, nul ne le sait, mais la rumeur dit que le « véritable » premier album de Luke Haines, The Oliver Twist manifesto, qui sort ces jours-ci est encore supérieur ! Alors, restez sur vos gardes : Art will save the world.