On attend chaque disque des Prazak comme le Messie. Toutes les œuvres qu’ils ont enregistré ont pris un nouveau sens avec leur interprétation souvent extrême limite. Repensons à leur disque des Quatuors de Janacek mais aussi à ceux de Schubert et Schönberg. Ils ne se sont pas encore attaqués (au disque du moins) à la musique française mais gageons que le choc sera grand. En attendant, les voilà dans Beethoven ou le maître absolu du quatuor à cordes. Il y a bien eu avant Papa Haydn et l’enfant Mozart. Mais Beethoven reste la référence suprême. Seize (dix sept avec la Grande Fugue) Quatuors aussi géniaux les uns que les autres, dont toute bonne discothèque se doit de posséder son (ses) intégrale(s). On ne sera pas original en disant que le quatuor à cordes a constitué pour le compositeur le lieu privilégié de ses expérimentations musicales tant au point de vue rythmique, harmonique que structurelle, et ce dès le 1er Quatuor. Alors, imaginez les deux derniers ! Autant dire qu’ils sont toujours d’avant-garde. Leur polyphonie complexe, leur densité harmonique (ah ! les dissonances), leur dynamique rythmique nouvelle, leur déchirante émotion (ou humour parfois) ont ouvert des abîmes quant aux possibilités d’écriture. Aujourd’hui encore, leur dimension et leur complexité en rebutent plus d’un. A l’exception de ceux de Bartok et Chostakovitch, ils n’ont pas d’héritiers dignes de ce nom.
Les grandes interprétations ne manquent pourtant pas. Des Budapest et Vegh (historique) aux Italiano et Berg, tous les grands quatuors ont laissé une intégrale. Il était normal que les Prazak s’y collent. Et… oh surprise ! Ils en donnent des versions exemplaires. Contentons-nous de parler du 15e Quatuor. Il vaut entre autres par son immense mouvement lent, pivot de l’œuvre. Introspection, profondeur des cordes, densité, violence, souffle musical, ce mouvement central acquiert un mysticisme halluciné avec les Prazak. Ils n’ont résolument pas une approche classique viennoise de la musique. Souvenons-nous de leur Schubert. Un son dur, parfois rêche. Ils donnent une claque à l’auditeur, n’hésitant pas à sur-exprimer la musique. Beethoven devient ainsi un contemporain, un homme du XXe siècle. Aurait-il été atonal ? Les Prazak semblent répondre par l’affirmative. Pourtant, n’exagérons pas, les mouvements vifs ont juste ce qu’il faut de joyeux, d’enlevé. Juste quelques mots sur le 16e Quatuor, le fameux « Muss es sein ». Dans une perspective téléologique, il mérite et nécessite plus d’une audition pour être sondé. En effet, les Prazak refusent toute concession, toute facilité. Ces interprétations (un peu desservies par une prise de son moyenne) font déjà date. Vous avez dit expressionniste ? Vous avez dit moderne ?