Rencontre d’un amoureux transi des atomes et des textures (Stefan Németh, membre du trio Radian et bien plus encore) et d’un guitariste ailleurs habitué à redessiner le rock de l’intérieur (Florian Kmet, aussi membre de Superlooper), Lokai a choisi une niche si discrète du spectre musical contemporain (instrumental, engourdi, ralenti) qu’il serait trop facile de passer à côté. Mais au vu de l’affection que beaucoup entretiennent encore avec quelques baudruches esthétisantes et très précieuses émergées des marais expérimentaux de la musique post-digitale (au hasard, Carsten Nicolai), ce serait bien dommage. D’autant que ce deuxième album en 5 ans d’existence a de jolis atouts mélodiques à faire valoir dans les salons: bien moins décharné que son prédécesseur 7 Million, Transition est un joli chemin (le premier morceau s’appelle Roads) frayé d’oasis mélodique en oasis métallique, dans le désert de bruit blanc le plus élémentaire d’un synthétiseur analogique. Elaboré et enregistré à la maison autour d’une guitare acoustique et d’une floppée de machins presque tous détournés en machines à résonner (un radiateur, un rhodes préparé), le disque imagine en partant systématiquement des bruits et de leurs mises en mécanisme des jolis scenarii exotiques (Glimmer), mélancoliques (Tik) , voire tragiques (Bruit) qui n’ont rien à envier en pathétique à un certain, vilain post-rock. En beaucoup mieux, s’entend : engluant leurs réductions de folk vers des jeux de résonance proche des douces dissonances de leurs compatriotes Polwechsel ou des compositeurs Morton Feldman et Helmut Lachenmman, ces ingénieux autrichiens nous remettent en mémoire un précieux groupe autrefois aussi signé sur Thrill Jockey, Town & Country, et dont la ligne de faîte reliait sans blague et sans détour John Fahey à la musique Gagaku.
Tout aussi compétent mais bien plus dégourdi, le New-Yorkais Dogr semble avoir écrit ses chansons en même temps qu’il a dessiné les plans des (grands) immeubles dans lesquels il rêvait de les entendre réverbérer. Produit et arrangé avec Andi Toma de Mouse on Mars (également producteur, il fut un temps, du divin Moondog, et ce n’est pas sans rapport), In korean wilds and villages a, simultanément, tous les attributs d’une trouvaille indie pop (les enluminures de voix à la Beach Boys) et d’une saillie formelle proprement surprenante comme on rencontre peu. Emergeant de nappes visqueuses de solennité (on l’a comparé à John Balance de Coil), de nuages de silence (quand la voix est seule contre une contrebasse, Arthur Russell est presque dans la pièce) voire de réjouissantes inventions formelles (Fiks it up fait brusquement chanter de vilains spoken words arty pour les faire décoller vers les sphères), In korean wilds and villages a bien plus à offrir que le tout venant indie hystérique contemporain. Chacun de ses détours mélodiques (on pense, bien sûr, à Wyatt, dès qu’un changement d’accord mime un dos d’âne en montagne) rappelle quelque rune ciselée dans la pierre plutôt que le dernier gadget freak à la mode à Williamsburg, et chacune de ses excentricités, un piano enregistré sur une cassette cassée, les innombrables pois sauteurs électroniques, semble tomber à pic d’un grand schème très cohérent dont on soupçonnerait seulement la délicieuse malveillance – on appelle ça le talent. Bien sûr, c’est aussi un premier album, et tout ne tutoie pas les cieux. Mais croyez en notre expérience éprouvée des fausses trouvailles, Dogr a de beaux, de très beaux atouts et il serait dommage, en cette rentrée saturée, de passer à côté.